Cavalier seul? Le Manitoba élabore sa propre taxe carbone

Climat et énergie

La nouvelle est tombée la semaine dernière : le Manitoba entend mettre en marche son propre Plan vert et climatique. Il faut féliciter la province et le gouvernement Pallister pour être montés dans le train de la tarification du carbone, en proposant un programme qui semble recueillir l’appui d’un large éventail d’intérêts. Maintenant, qu’en est-il des détails? De quelle manière ce plan fait-il avancer la province? Et comment s’arrime-t-il au Cadre pancanadien sur les changements climatiques?

La tarification comme pièce de résistance

La tarification du carbone est au cœur du projet manitobain. En 2018, la province mettra en place un tarif de 25 dollars par tonne de carbone afin d’inciter les entreprises et les ménages à réduire leurs émissions de GES. Grâce à cette mesure flexible, ceux-ci auront toute liberté pour choisir les moyens qui leur semblent les plus appropriés (et les plus économiques), étant donné leurs circonstances particulières, pour réduire leurs émissions. De façon générale, il n’y a pas de manière de procéder qui soit plus efficiente.

Par la même occasion, le Manitoba a annoncé qu’il adopterait une approche de tarification « fondée sur le rendement » (output-based) pour les gros émetteurs. Un choix logique. Cette approche aide à apaiser les craintes que soulève la tarification du carbone en ce qui a trait à la compétitivité. Elle amène les entreprises à réduire leurs émissions de GES en améliorant leur performance plutôt qu’en déménageant leur production dans des zones où la réglementation est plus laxiste.

Un rôle pour les politiques complémentaires

Le Plan vert et climatique prévoit aussi une série de mesures pour aller chercher des réductions d’émissions supplémentaires. La performance de ces politiques complémentaires dépendra de leur réglage exact. Les détails ne sont pas connus pour l’instant, mais les mesures annoncées cadrent tout à fait avec les recommandations de la Commission de l’écofiscalité sur les politiques complémentaires.

Par exemple, la province réfléchit à un éventail de politiques destinées au secteur agricole, notamment un système de . Vu l’importance des émissions d’origine agricole au Manitoba, mais aussi la difficulté de taxer directement les émissions de GES diffuses, non issues de la combustion, des politiques additionnelles de ce genre peuvent effectivement combler des lacunes dans un régime de tarification du carbone.

En revanche, certaines politiques complémentaires annoncées dans le Plan risquent de se révéler très coûteuses. Augmenter le contenu minimal en biodiesel des carburants à 5 %, par exemple. Il n’existe pas de raisons évidentes de favoriser une méthode particulière de réduction des émissions – comme les carburants renouvelables – au détriment des autres. En général, une politique sans parti-pris technologique aboutit à des réductions d’émissions à moindre coût.

La question de la sévérité

Les médias ont accordé beaucoup d’attention au montant proposé du tarif carbone : 25 dollars la tonne… et au fait que ce montant n’augmenterait pas avec le temps. Ici, le Manitoba fait figure d’exception, et il vaut la peine d’examiner attentivement la chose.

La bonne nouvelle, c’est qu’en fixant tout de suite la barre à 25 dollars (au lieu de commencer plus bas et d’augmenter graduellement), le Plan manitobain engendrera davantage de réductions d’émissions à court terme. Un carbone plus cher crée une incitation à la réduction des émissions pour éviter la taxe. Et dans l’immédiat, le tarif au Manitoba serait plus élevé que dans les provinces soumises au filet de sécurité fédéral.

La mauvaise nouvelle, c’est qu’en gelant le prix du carbone à 25 $ la tonne, cette politique produira moins de réductions d’émissions à long terme que si le prix passait à 30 $ en 2020, à 40 $ en 2021 et à 50 $ en 2022 – en suivant la trajectoire fixée par le Cadre pancanadien. En outre, en annonçant un prix carbone (comparativement) plus bas pour l’avenir, on risque de diminuer les avantages que l’innovation des technologies faibles en carbone apporterait avec un prix ascendant.

Le Plan vert et climatique tente de tourner la difficulté en introduisant la notion de réductions d’émissions cumulatives. Au lieu de comptabiliser les réductions sur une base annuelle, il s’intéresse au total des réductions obtenues de 2018 à 2022. Dans le graphique ci-dessous, on compare les réductions attendues du Plan manitobain à celles que produirait la taxe fédérale ascendante. Selon la modélisation proposée par la province, imposer plus tôt un tarif plus élevé engendre suffisamment de réductions d’émissions pour justifier le gel du tarif par la suite.
tarification du carbone

Sous le régime du filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone, on obtiendrait des réductions d’émissions cumulatives de 990 kt d’équivalent CO2 de 2018 à 2022 (le bloc gris à gauche). Pour la même période, le tarif carbone fixe du Manitoba réduirait les émissions de 1 070 kt (le bloc violet en bas à droite).
(Source : modélisation du Plan vert et climatique du Manitoba.)

Une coordination interprovinciale compliquée      

L’approche par réductions cumulatives a des conséquences intéressantes sur l’arrimage du plan manitobain avec le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques.

Si l’on se place du point de vue des résultats environnementaux, il faut se garder de dénigrer l’approche par émissions cumulatives. Après tout, c’est le total des GES dans l’atmosphère qui occasionne les changements climatiques coûteux, pas les émissions annuelles. Bien entendu, cet argument ne peut servir qu’une seule fois. Au bout du compte, nous recherchons des réductions d’émissions importantes à long terme. Au-delà de 2022, le Plan manitobain prévoit d’ailleurs des réductions encore plus importantes. Dans sa section sur la mise en œuvre du programme, on promet que les politiques seront à la hauteur des ambitions proclamées. Tôt ou tard, cela exigera des mesures plus rigoureuses.

Si l’on se place du point de vue des résultats économiques, recourir à la tarification du carbone permettra de minimiser le coût des réductions d’émissions à l’intérieur de la province. Mais pour minimiser ces coûts dans l’ensemble du pays, il faudrait en arriver à un tarif commun. L’harmonisation entre provinces est déjà compliquée par la coexistence de taxes carbone avec des systèmes de plafonnement d’émissions reliés à la Californie. L’approche par réduction cumulatives envisagée par le Manitoba ajoute un niveau de complexité.

Plaçons-nous maintenant du point de vue des résultats politiques. Ici les choses deviennent intéressantes. À l’évidence, le prix du carbone (proposé) au Manitoba est plus bas que celui prescrit par le Cadre pancanadien – du moins le sera-t-il à partir de 2020; il y a là une future pomme de discorde entre la province et Ottawa. D’où ces interrogations : de quelle manière faut-il mesurer la conformité avec le Cadre pancanadien? Année par année? Sur un plus longue période? À tout le moins, le processus de révision fédéral prévu pour 2020 et 2022 promet d’être mouvementé.

Un pas dans la bonne direction

Dans l’ensemble, il faut dire bravo au gouvernement manitobain pour avoir reconnu la nécessité de réduire les émissions de GES et pour avoir mis en avant un plan sérieux à cette fin, un plan qui mise sur la tarification du carbone pour minimiser les coûts. Certes, il lui faudra en faire davantage à l’avenir, mais cela vaut aussi pour les autres provinces. Le plan manitobain démontre une fois de plus que la route vers une politique climatique efficiente et concertée dans un Canada fédéral ne suit pas une ligne droite… Mais il est bon de constater qu’on avance malgré tout.

 

 

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