La pire politique climatique? L’incertitude

Climat et énergie

En mettant en œuvre des politiques bien conçues, le Canada peut, à coût économique minime, atteindre ses cibles d’émissions de GES. Toutefois, même en recourant aux instruments les moins coûteux économiquement, il reste un facteur capable de faire monter l’addition : l’incertitude. Lorsque l’orientation future de la politique climatique n’est pas claire – ou pire, lorsqu’un revirement complet de politique est à craindre –, le Canada se trouve à payer plus cher pour atteindre ses cibles. Dans ce billet, j’examine les conséquences de l’incertitude en matière de politique climatique et je réfléchis à ce que nous pouvons y faire.

Le problème de l’incertitude

Récemment, je discutais avec un dirigeant d’une grande multinationale de l’abolition du système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions de GES en Ontario. Au moment où Toronto prenait cette décision, l’entreprise de cet homme s’apprêtait à investir des sommes importantes pour réduire l’intensité des émissions de GES dans ses installations ontariennes. L’entreprise a depuis annulé cet investissement. En fait, elle avait vu venir le revirement politique, et c’est en partie pour cela que l’investissement avait été suspendu jusque-là. Néanmoins, les ressources engagées en prévision de l’investissement auraient pu être affectées ailleurs de manière plus productive. L’abolition de la Bourse du carbone de l’Ontario a donc entraîné des coûts bien réels pour l’entreprise. Et la province n’a pas pu profiter de cet investissement, ni de la baisse des émissions de GES qui en aurait résulté.

Le nouveau gouvernement ontarien prévoit maintenant instaurer un régime de tarification fondé sur la production qui aurait sensiblement le même effet sur la multinationale que l’ancien régime de la Bourse du carbone. En principe, l’incitation à la moderniser les équipements de l’entreprise devrait donc être la même. Pourtant, le dirigeant n’était pas certain que sa compagnie s’engagerait à nouveau dans cette voie. La perspective de nouveaux revirements politiques à l’avenir rendait cet investissement moins intéressant que d’autres options.

L’incertitude entourant les politiques publiques futures est l’un des coûts cachés de la polarisation actuelle du débat sur la question.

L’instabilité des politiques est mauvaise pour les affaires

Le caractère incertain des politiques publiques peut paralyser le processus de décision d’investissement des entreprises. Quand les politiques climatiques sont en flottement, les entreprises qui vendent des produits à forte intensité de GES (ou au contraire des produits destinés à réduire les émissions de GES) n’ont aucun moyen d’estimer la demande pour leurs produits. Et les entreprises dont les processus de production sont à forte intensité d’émissions ne peuvent pas savoir si le fait d’investir dans des technologies moins polluantes leur procurera un avantage ou un désavantage face à la concurrence.

L’effet dissuasif de l’instabilité politique sur l’innovation dans les technologies sobres en carbone est particulièrement préoccupant. Si les entreprises ignorent le degré de rigueur des politiques climatiques à venir, la R-D orientée vers le développement de produits et services sobres en carbone pourra sembler moins rentable. Des innovations capables d’abaisser le coût d’atténuation des émissions de GES au Canada (et qui offrent un potentiel d’exportation) risquent de demeurer sur la table à dessin.

Le pire du pire : le renversement de politique

Une politique climatique hésitante à moyen et long terme est déjà suffisamment dommageable. Mais l’incertitude à court terme représente un défi autrement formidable. S’il y a risque que le gouvernement modifie ou renverse brusquement l’orientation de la politique climatique, les conséquences économiques peuvent être sérieuses.

Comme l’illustre ma conversation avec le dirigeant d’entreprise, annuler d’un coup la politique climatique d’un précédent gouvernement, sans compensation ou presque pour les parties lésées, mine la crédibilité des futures politiques du nouveau gouvernement. La province ou le pays cesse d’apparaître comme un lieu sûr où investir. Non seulement cela affecte l’investissement en faveur de l’atténuation des émissions de GES, cela nuit à l’investissement tout court. En ce sens, les renversements de politique entraînent des coûts importants pour l’ensemble de l’économie.

Plus facile à dire qu’à faire

Le Canada s’apprête à réduire le coût global de sa transition vers une économie à faibles émissions de carbone au moyen de politiques climatiques crédibles et stables et d’une augmentation planifiée de leur rigueur. Malgré tout, sa politique climatique reste empreinte d’une certaine incertitude. Le prix du carbone, par exemple, est censé atteindre 50 dollars la tonne en 2022. Que se passera-t-il ensuite? En fait, il n’est même pas certain que le prix du carbone atteigne ce niveau. Suivant le résultat de la prochaine élection fédérale, cet automne, le tarif carbone fédéral pourrait ne même plus exister.

Les débats sur les options de politiques climatiques sont nécessaires. Cela peut aller jusqu’à discuter de l’opportunité même d’un tarif national pour le carbone, et de l’emploi qu’il convient de faire des recettes que ce tarif génère. On ne réglera pas le problème de l’incertitude tant que ces questions ne seront pas réglées. Il pourrait être tentant de réduire l’incertitude en prenant des raccourcis, par exemple en coulant les politiques dans le béton pour compliquer le travail de démolition de futurs gouvernements. Mais nous voulons que les futurs gouvernements soient en mesure de réagir à de nouvelles circonstances. Les ligoter n’est pas la solution.

Les aléas de la politique font que la stabilité en matière de politiques publiques est difficile à atteindre en pratique. Pour autant, l’impossibilité d’une stabilité complète ne veut pas dire qu’on ne peut pas réduire l’incertitude.

Des politiques conçues pour réduire l’incertitude

Les gouvernements peuvent employer divers moyens pour améliorer la stabilité des politiques climatiques. En voici quelques-uns.

CONSTRUIRE SUR LES TERRAINS D’ENTENTE

Malgré les opinions diamétralement opposées sur la tarification du carbone, il y existe un type de politique climatique sur lequel les Canadiens s’entendent largement : la tarification de la pollution fondée sur la production (OBP, pour output-based pricing). Cette tarification s’applique aux grands émetteurs de GES soumis à une forte concurrence et au risque de transfert d’émissions (leakage, expliqué ici). Au Canada, des gouvernements de tous poils y ont recours. Pourtant, en dépit de ce consensus émergent, l’incertitude politique persiste. L’Alberta, par exemple, en est à sa troisième version d’une politique d’OBP.

RENFORCER LES TIERCES PARTIES NEUTRES ET OBJECTIVES

Les gouvernements peuvent créer des entités neutres pour les conseiller et les aider à concevoir leurs politiques. Le Committee on Climate Change du Royaume-Uni (CCC) en est un bon exemple. Le CCC offre au gouvernement des avis indépendants sur la mise en place et le respect de budgets carbone et sur les progrès accomplis au regard des objectifs. Il procède aussi à des analyses indépendantes sur la science, l’économie et la politique des changements climatiques. Il est mené par des experts et jouit de l’appui et de la confiance de l’ensemble du spectre politique. Son action est encadrée par une loi. Par conséquent, les entreprises peuvent compter que les décideurs politiques vont continuer à écouter les analyses et les conseils du CCC, ce qui réduit la probabilité de grands revirements dans les politiques publiques.

METTRE EN PLACE DES MÉCANISMES TRANSPARENTS ET PRÉVISIBLES

On peut aussi réduire l’incertitude en instituant des mécanismes clairs et prévisibles de modification des politiques publiques. Par exemple, le « compte d’épargne carbone » du gouvernement manitobain (Carbon Savings Account) oblige la province à établir un budget quinquennal pour les émissions de GES et à mettre en œuvre des politiques pour le respecter. Si la province dépasse la cible d’émissions, elle soustrait l’excédent dans le budget suivant, ce qui permet d’anticiper le resserrement des exigences des politiques climatiques à venir. Ce genre de mécanisme n’empêche pas les changements de politique. Mais il fait en sorte que ceux-ci se produisent de manière plus prévisible et transparente.

Davantage de certitude? Certainement!

L’incertitude dans politiques publiques n’est à l’avantage de personne. Elle augmente le coût de la décarbonisation et nous fait courir le risque de perdre des occasions d’exportation. Et dans le cas des renversements de politique, l’incertitude décourage l’investissement des entreprises au Canada.

Éliminer l’incertitude quant aux politiques publiques est un défi de taille. Nous devrions faire ce qui est en notre pouvoir pour la réduire.

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