Politiques complémentaires 1 : celles qui comblent des lacunes

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Climat et énergie La pollution

Dans notre plus récent rapport, Soutenir la tarification du carbone, nous nous penchons sur les politiques climatiques complémentaires, soit des politiques non tarifaires qui accomplissent des choses que la tarification du carbone ne peut accomplir. Trois types de politiques peuvent réellement compléter la tarification du carbone : celles qui comblent des lacunes, celles qui renforcent un signal et celles qui augmentent des avantages. Aujourd’hui, premier billet d’une série de trois, nous examinons les politiques qui comblent des lacunes.

Définition

On peut faire confiance à la tarification du carbone pour faire le gros de l’ouvrage quand il s’agit de réduire les émissions de GES. Mais en dépit de sa versatilité, la tarification ne peut pas tout faire. Certains types d’émissions sont difficiles à mesurer et à priser. Par exemple, les émissions qui résultent de la réaffectation des terres, de l’exploitation forestière ou de l’agriculture ont des sources nombreuses et diffuses. Elles varient selon les pratiques de gestion et les conditions locales. Les émissions attribuables au secteur des déchets, comme aussi certains types d’émissions industrielles, sont également difficiles à mesurer.

À cause de ces lacunes, la tarification du carbone peut laisser passer des occasions de mitiger certaines émissions de GES de manière efficiente. Des politiques particulières, appelées gap-fillers en anglais, ciblent justement ces occasions. En prenant en charge des émissions négligées par la tarification, elles augmentent la portée de l’ensemble des mesures climatiques et en abaissent le coût global.

Il faut toutefois faire preuve de prudence. Toutes les politiques destinées à combler des lacunes ne complètent pas adéquatement la tarification du carbone. Pour être utiles, ces gap-fillers doivent engendrer des réductions supplémentaires, et ils doivent le faire à bas prix.

Le méthane, par exemple

Dans notre rapport, nous étudions en détail un exemple de politique destinée à combler une lacune : la régulation des émissions de méthane dans les secteurs du pétrole et du gaz. De 2020 à 2023, le gouvernement fédéral introduira progressivement des mesures pour réduire d’ici 2025 les émissions de méthane dans ces secteurs à moins de 40-45 % des niveaux de 2012. Les émissions de méthane, provenant par exemple de fuites dans les puits et dans les réseaux de distribution, ont des sources nombreuses, parfois obscures. Elles sont donc difficiles à mesurer. Dans certains cas, on ne peut qu’inférer leur existence d’une perte de volume constatée le long de la chaîne d’approvisionnement. On ne peut pas facilement appliquer un tarif à toutes ces émissions. Il y a donc une lacune.

Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation (RÉIR) sur le méthane, publié par le gouvernement il y a quelques semaines, quantifie certains des effets escomptés. On estime qu’en 2025 la réglementation permettra des réductions annuelles de 21 Mt d’équivalent CO2, pour une mitigation cumulée de 282 Mt entre 2018 et 2035. Et l’on croit pouvoir obtenir ces réductions au coût moyen de 13 dollars la tonne. La plupart de ces coûts sont initiaux; la grande majorité devront être supportés dès 2023 (figure 1).
Figure 1. Scénario de référence : émissions de méthane et coûts de conformité annuels

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Source : Gazette du Canada.

Des baisses d’émissions à bon prix
Cette réglementation va donc engendrer d’importantes réductions d’émissions. Celles-ci reviendront moins cher la tonne que le tarif carbone et que le coût social du carbone. Ce sont donc des réductions sensées du point de vue économique (voir la figure 2, et notre résumé sur l’analyse comparative).

Figure 2. Analyse du prix implicite du carbone de la politique fédérale sur les émissions de méthane dans les secteurs du pétrole et du gaz

La figure 2 montre que le coût de la politique se situe bien en-dessous des prix du carbone. Dans notre rapport, nous expliquons comment l’harmonisation de la réglementation et de la tarification du carbone améliore l’efficience d’un ensemble des mesures climatiques. Pour le dire simplement, cela permet d’envoyer un signal de prix uniforme dans toute l’économie. Ce qui aide à identifier les occasions de mitigation les plus efficaces par rapport aux coûts.

En somme, la réglementation fédérale sur le méthane a de bonnes chances de représenter un véritable complément à la tarification du carbone. Elle promet des réductions d’émissions significatives à coût raisonnable.

Petits réglages

Même si la réglementation fédérale réussit notre test, il y a place à l’amélioration. Nos résultats suggèrent que cette réglementation pourrait être encore plus stricte sans que l’efficience de la mitigation s’en ressente.
Il y aurait plusieurs façons de procéder. Les exigences pourraient être rehaussées. Ainsi, les inspections pourraient être trimestrielles, au lieu d’être trisannuelles. Le calendrier des réductions pourrait être plus ambitieux : le gouvernement fédéral a retardé de deux ans (de 2018 à 2020) l’entrée en vigueur des premiers règlements, par crainte d’affecter la compétitivité. Or ces craintes sont aujourd’hui moins fondées qu’autrefois, et les atermoiements diminuent la mitigation cumulée (figure 1). Autre possibilité, la réglementation pourrait supprimer les exemptions pour les raffineries de petite et moyenne taille, qui laissent échapper des occasions de mitigation efficiente. Enfin, la politique ne se donne pas d’objectifs clairs après 2023. L’industrie apprécierait certainement qu’on établisse des cibles à long terme. Cela lui permettrait de préparer une transition plus efficiente – tout en garantissant que le Canada atteindra ses cibles pour 2030.

Au cours des douze prochains mois, les décideurs qui mettent la dernière main à cette politique devraient en profiter pour la resserrer. Si le coût moyen de mitigation demeure inférieur au prix-plancher fédéral, une réglementation plus stricte demeurera efficace par rapport aux coûts. Pour plus de détails, ainsi qu’une présentation de nos méthodes et de nos prémisses, vous pouvez lire notre rapport.

La suite du programme

Les règlements sur les émissions de méthane dans le secteur des hydrocarbures ne sont qu’un exemple de ce que peut être une politique visant à combler des lacunes. Notre dernier rapport passe en revue plusieurs autres exemples. Nous explorons plus à fond la question de ces gap-fillers dans un prochain cyberséminaire; restez à l’écoute! Et ne manquez pas le billet de blogue de la semaine prochaine sur les politiques conçues pour renforcer un signal (signal-boosters)

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