Les Albertains aussi sont des écologistes (qui s’ignorent)
Le Canada est un pays décentralisé dont la population est disséminée sur un immense territoire. Ses différentes cultures et mentalités ont souvent un caractère régional. Et ses provinces ne voient pas toujours les choses du même œil. Natif de l’Alberta vivant en Ontario, ces particularités me sont clairement apparues au gré du dialogue que j’entretiens avec des Albertains, surtout en ce qui a trait à la tarification du carbone. J’ai parfois le sentiment que nous avons peu en commun avec les provinces voisines. Mais est-ce vraiment le cas?
L’ennemi idéal
Profitant d’un long séjour dans ma province natale, j’ai récemment tenté d’enrichir ce dialogue. Car en dépit de leurs perceptions des autres provinces, les Canadiens (surtout hors de l’Alberta) partagent à maints égards une même vision de l’environnement, comme l’indique un sondage Abacus montrant que 78 % d’entre eux se perçoivent comme des écologistes modérés. Or, malgré cette convergence de vues, nous restons obnubilés par nos divisions.
Où qu’ils aillent, les Albertains sont précédés par leur réputation (comme je l’ai vite constaté en m’installant dans l’est du pays). Voilà ce qui arrive dans un immense pays à la population dispersée : on peut facilement déformer l’avis des autres ou supposer qu’ils ne comprendront jamais le nôtre.
J’ai donc multiplié les angles d’approche avec mes interlocuteurs albertains. Les problèmes environnementaux ont des impacts économiques et sociaux variables selon la région. Plus globalement, on peut les considérer du point de vue de la sécurité énergétique, de la sécurité nationale ou des relations internationales. Chacun est concerné d’une façon ou d’une autre; il s’agit de trouver laquelle.
Le compte rendu ci-dessous pourra sembler anecdotique. Et pour éviter les généralisations (on en fait déjà trop), je rappelle qu’on trouve dans chaque province une vaste gamme d’opinions.
C’est justement ce qu’on peut oublier en s’enlisant dans un dialogue de sourds, sans prendre en compte nos intérêts écologiques et économiques communs. Or, si j’en juge par mes échanges avec des Albertains, tous les Canadiens sont plus ou moins dans le même bateau environnemental.
Voici ce qu’ils m’ont dit…
Priorité aux problèmes de terrain
N’en doutez pas : les Albertains s’inquiètent de leur environnement… à leur façon.
Leur province est mondialement réputée pour ses pistes de ski, ses randonnées, ses campings et plus encore. Si bien que les adeptes de plein air y sont proportionnellement plus nombreux qu’ailleurs au pays. Les gens à qui j’ai parlé passent souvent leurs temps libres à la montagne. Beaucoup se soucient de leurs parcs et de leur faune, de leurs glaciers et de leurs forêts. La préservation de la nature est indissociable de leur qualité de vie.
Ils semblent donc privilégier les enjeux locaux, visibles et concrets, protégeant par divers moyens la qualité de l’environnement. Les habitants de Canmore, ville des Rocheuses que j’ai visitée, s’efforcent ainsi de préserver la faune et les milieux sauvages. Le tourisme joue un rôle clé dans la région, mais ils reconnaissent la nécessité d’alléger son empreinte écologique.
L’environnement est multiforme
Les perceptions de l’environnement varient selon les situations. Si vous vivez dans les Maritimes, la protection du littoral vous semblera plus importante qu’aux autres Canadiens, alors que les fermiers de la Saskatchewan s’inquiéteront des problèmes de sécheresse. Il est donc naturel que les Albertains privilégient les milieux sauvages où beaucoup passent leurs week-ends.
Face à ces diverses priorités, il est malheureusement trop facile de rejeter l’avis des uns et des autres. La polarisation du débat sur des enjeux comme le climat et les sables bitumineux peut effacer les valeurs environnementalistes de chacun. J’ai ainsi tenté d’expliquer à un opposant aux sables bitumineux (natif de Colombie-Britannique) que le blocage des pipelines est un moyen coûteux de réduire les émissions de GES : il a semblé me disqualifier comme écologiste dès que j’ai exprimé un avis nuancé sur les sables bitumineux, dont il rechignait à admettre l’importance économique pour le Canada.
Pourtant, on peut à la fois soutenir le secteur énergétique albertain et défendre l’environnement, sans aucunement nier le dérèglement climatique. Car l’environnementalisme ne se réduit pas au climat. Ces dichotomies stériles (tout comme l’idée selon laquelle l’enjeu du climat doit primer tous les autres) font obstacle à un dialogue productif.
Se rencontrer à mi-chemin
En fait, la vision concrète des Albertains pourrait bien souffler un vent de fraîcheur sur l’approche globale des écologistes, fonctionnaires et décideurs. Chose certaine, il faut en tenir compte. Car la diversité des points de vue peut faire avancer les choses… à condition d’en permettre l’expression.
Au lieu de museler les avis divergents, ne serait-il pas préférable d’en discuter franchement? D’autant plus qu’un débat fructueux repose toujours sur l’analyse d’un éventail de priorités.
S’ils sont parfois difficiles à identifier, nos intérêts communs sont plus nombreux que nous l’imaginons. Et malgré nos désaccords sur certaines politiques, nous souscrivons généralement aux mêmes objectifs environnementaux.
Les clés d’un meilleur dialogue
Comment élever le débat? Au-delà de l’écoute (attentive), trouvons de nouvelles façons de nous parler. Si nous échouons à convaincre nos interlocuteurs, évitons de les diaboliser ou de laisser la conversation dégénérer; nos points d’entente sont trop nombreux pour céder à de tels excès. Retrouvons un fil conducteur et rappelons l’intérêt de chacun pour l’environnement.
En cas de désaccord ou de malentendu, laissons aux tenants d’une opinion donnée la chance de s’expliquer clairement, que ce soit sur les cibles d’émissions de la conférence de Paris, la tarification du carbone ou les avantages économiques des sables bitumineux. L’honnêteté est évidemment essentielle, avec soi comme avec les autres : décrivons-nous vraiment tous les effets de telle ou telle mesure, présentons-nous tous les aspects d’une question pour trouver un compromis au lieu de brouiller les cartes ou de lancer des injonctions morales?
Chacun détient les clés d’un dialogue productif fondé sur une approche nuancée, des données probantes et des faits établis, plutôt qu’une vision rigide ou caricaturale de nos « adversaires ». Il n’est jamais simple de faire consensus. Mais nous sommes dans le même bateau et ramons tous dans la même direction. Gardons le cap…
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