Les politiques climatiques peuvent-elles nous rendre moins vulnérables aux feux de forêt?
La forêt continue de brûler en Colombie-Britannique. Les dizaines de milliers de personnes déplacées nous rappellent l’énorme coût humain de ces incendies. La forêt recouvre 35 % du territoire canadien. Elle représente une ressource extraordinaire en même temps qu’un risque important. Avec les changements climatiques, des désastres semblables à celui qui s’abat sur l’intérieur britanno-colombien vont devenir plus fréquents. Comment réduire le risque de telles catastrophes? Et comment tirer le meilleur parti de nos forêts? Sous ces deux rapports, une politique climatique intelligente peut être d’un grand secours. Mais l’équation est plus complexe que la simple prévention des incendies.
La forêt, sœur ennemie
Parmi leurs innombrables avantages, les forêts comptent celui d’être des puits de carbone. En grandissant, les arbres absorbent et séquestrent le carbone. Lorsqu’ils meurent, pourrissent ou brûlent, ils le relâchent. En 2014, les 347 millions d’hectares de forêt canadienne ont séquestré 64 mégatonnes de CO2e (équivalent CO2). L’année précédente, c’était 170 mégatonnes. Le Canada a émis 727 mégatonnes de CO2e en 2014. Une mauvaise saison des feux de forêt peut alourdir notre bilan carbone de 15 à 20 %.
La forêt est un puits de carbone, certes, mais pas toujours. Au plus fort de la terrible saison des feux de 2015, la forêt indonésienne a émis chaque jour plus de CO2e que l’économie des États-Unis tout entière. Plus près de chez nous, l’incendie de 2016 à Fort McMurray a relâché environ 100 mégatonnes de CO2e. (Bien entendu, la forêt qui repousse va recapturer une partie de ce carbone.)
Les feux de forêt au Canada sont un problème que les changements climatiques aggravent encore. Les régions les plus touchées en ce moment risquent de se retrouver avec des incendies encore plus fréquents, tandis que celles qui étaient épargnées jusqu’ici vont devenir plus vulnérables.
Comment réduire la probabilité d’un autre Fort McMurray, d’une autre dévastation comme celle que connaît cet été la Colombie-Britannique? Et comment pouvons-vous maximiser le potentiel de nos forêts pour le stockage du carbone? Voyons comment nous pouvons combiner ces deux ambitions.
Une forêt de politiques
Nous ne parlerons pas ici de prévention des incendies. Nous examinerons plutôt la foresterie et les feux de forêt à travers le prisme des politiques climatiques. Ce n’est pas la seule approche possible, bien sûr, ni même la principale dans des situations comme celle que connaît la Colombie-Britannique, mais elle a sa pertinence.
Dans notre rapport du mois dernier, nous proposions un cadre d’évaluation des politiques climatiques complémentaires, c’est-à-dire les politiques que l’on peut accoler avec profit à la tarification du carbone. Nous n’avons pas accordé dans ce rapport autant d’attention que nous l’aurions voulu à la gestion des forêts, aussi nous y revenons aujourd’hui.
Les politiques climatiques qui s’attaquent aux émissions de carbone d’origine forestière sont nombreuses et variées, à tel point qu’on en retrouve dans deux des trois grandes catégories de politiques que le rapport identifie. Comme les émissions de la forêt sont diffuses, on ne peut y appliquer une tarification simple. Il faut gérer ces flux de carbone autrement. Les politiques en ce domaine seront donc du type qui comblent des lacunes (gap-fillers). La compensation carbone ou les crédits carbone en sont de bons exemples.
Par ailleurs, les politiques de gestion des forêts sont également du type qui procurent des avantages connexes (benefit-expanders), parce qu’elles font plus que mitiger les émissions de carbone. Les forêts se prêtent aux activités économiques, en plus de rendre une multitude de services écologiques, comme la purification de l’eau et de l’air. Moins de feux de forêt signifie également moins de fumée et de particules de suie toxiques – un autre avantage connexe.
La croissance du couvert forestier est depuis longtemps présentée comme une bonne politique climatique. De même, accroître la prévention pour empêcher ces forêts de brûler permet d’éviter qu’elles relâchent leur carbone. Puisque les forêts sont d’énormes puits de carbone, moins elles brûlent, mieux on se porte, non?
Un mal nécessaire
En fait, non. Les feux de forêt jouent un rôle essentiel dans le maintien d’un écosystème robuste et en santé. Ils sont naturels, cycliques et, en fin de compte, nécessaires. En outre, les politiques de suppression des incendies sont souvent contre-productives. Plus une forêt brûle tard, plus sa charge de combustible est élevée. Lorsqu’il surviendra, l’inévitable incendie n’en sera que plus gros et plus foudroyant. Les conséquences pourraient être catastrophiques. Il ne suffit donc pas de « supprimer » les incendies.
Ce qu’il faut, plutôt, c’est tenter de réduire l’incidence des incendies catastrophiques. De cette façon, on réduit les coûts sociaux et économiques, on maintient les forêts en santé et on approfondit le puits de carbone qu’elles représentent.
Prévention, intervention, régénération
En premier lieu vient la prévention : on ne veut pas davantage de feux de forêt qu’il n’en faut. On emploie fréquemment pour ce faire la technique du brûlage dirigé, qui consiste à incendier stratégiquement certaines portions de forêt. Celle-ci peut alors se régénérer, et l’on retire aux incendies futurs les réserves de combustible qui se trouvent dans des zones sensibles, comme à proximité des communautés humaines. Cette méthode est efficace mais généralement impopulaire; les problèmes redoutés vont des dégâts matériels à la santé respiratoire. Et la méthode n’est pas sans risque sur le terrain : elle exige une planification rigoureuse. Malgré tout, elle risque de prendre de l’expansion avec la probabilité croissante d’incendies de forêt catastrophiques. Pas d’omelette sans casser d’œufs.
Une autre méthode consiste à gérer activement la masse combustible, en particulier près des communautés vulnérables et des infrastructures. La suppression stratégique des sous-bois et des broussailles est moins draconienne que le brûlage dirigé – bien que sans doute moins efficace.
Certaines politiques peuvent infléchir les comportements qui augmentent le risque d’incendie – et certaines relèvent de l’écofiscalité! Par exemple, Vancouver vient d’imposer une amende de 500 dollars aux fumeurs qui jettent leurs mégots dans l’herbe. Les campagnes d’information sur les feux de forêt (aussi bien leur prévention que leur nécessité écologique) sont également importantes, même si leur efficacité est difficile à mesurer. À l’occasion, l’interdiction de certaines activités (comme les barbecues dans les parcs nature) empêche un problème de se changer en très gros problème.
Lorsqu’incendie il y a, il s’agit de déterminer l’intervention d’urgence adéquate pour contrôler rapidement la situation. Plus vite on réagit, plus on peut limiter les dommages et les émissions. Le Canada possède 9 % des forêts du globe et une expertise importante en la matière. Il est crucial qu’il entretienne cette expertise à mesure que le risque d’incendie de forêt augmente.
Après l’incendie, les gouvernements peuvent aider à la régénération. Les politiques en faveur de la plantation d’arbres à croissance rapide, du transfert et de la migration assistée des semences maximisent le potentiel des forêts comme puits de carbone tout en améliorant leur résilience face aux futurs changements climatiques.
La vérité au fond du puits de carbone
Le bilan carbone de nos forêts est une équation complexe. Les politiques visant à réduire les émissions des forêts qui brûlent et qui meurent peuvent approfondir, petit à petit, notre puits de carbone. Les incendies d’ampleur catastrophique sont un élément important de l’équation.
Chaque forêt est unique. Il est nécessaire que les concepteurs de politiques s’ajustent à chacune. Mais les politiques climatiques sont au cœur de la prévention des désastres, tout en créant des occasions à saisir. Avant toute chose, on combat les incendies à cause de leurs coûts humains. Les avantages connexes sont secondaires, mais non moins significatifs. On peut réduire le risque de catastrophe en recherchant le bon dosage de politiques de gestion forestière, de sensibilisation et de restrictions. Cela fera en sorte que le Canada tire le meilleur de l’un de ses plus grands atouts dans la lutte contre les changements climatiques.
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