Congestion routière : la tarification par distance parcourue, un instrument flexible

La pollution Villes durables

La tarification de la congestion routière et les péages sont devenus un sujet à la mode dans nombre d’officines gouvernementales, comme par exemple en Nouvelle-Écosse. Nous en profitons pour faire la lumière sur les différentes formes de tarification, en nous appuyant sur notre propre étude de 2015 : Circulation fluide en vue… Tarifer la congestion routière pour mieux la combattre. Dans le billet de ce jour, j’examine la tarification par distance parcourue (TDP), approche qui pourrait bien représenter l’avenir de la tarification de la congestion routière au Canada. Mais en cours de route, les décideurs auront encore une décision importante à prendre : l’objectif est-il de réduire le trafic ou de générer des revenus?

Un système de tarification versatile

La tarification par distance parcourue, son nom l’indique, impose des frais en fonction du kilométrage accompli par un véhicule. Au contraire des systèmes de tarification par zones, ces frais ne s’appliquent pas à un ensemble d’artères précis. Leur champ d’application couvre toute une ville, voire toute une région. La TDP peut toucher tous les véhicules ou alors cibler certaines classes de véhicules, comme les poids-lourds. Les frais varient selon la durée du trajet, la route empruntée, la direction suivie, la distance, ou toute combinaison de ces paramètres. Le kilométrage est contrôlé par divers procédés, depuis le rudimentaire relevé à l’odomètre jusqu’au pistage par GPS. Au minimum, les nouvelles techniques de pistage permettent de se passer des postes de péage.

La TDP permet aussi de tailler des tarifs sur mesure. Leur conception dépendra de l’objectif principal poursuivi.

Une option consiste à établir des tarifs variables ou dynamiques pour réduire le trafic, soit dans l’ensemble du réseau, soit sur certaines routes à certaines heures. Un système de ce genre fonctionnerait bien à Vancouver, région métropolitaine pourvue d’une pluralité de foyers d’activité, de différents pôles avec chacun son trafic routier, et de quantité de ponts et de tunnels. Une tarification variable ou dynamique aiderait à réduire les goulots d’étranglement et faciliterait la circulation. Le prix du kilomètre parcouru monterait et baisserait en temps réel pour refléter le coût véritable de la congestion en un point particulier. Le résultat serait une réduction de la congestion au plus faible coût global.

Pour leur part, les systèmes plus simples, à tarif fixe, offrent une source de revenus stable et prévisible. Ils peuvent ainsi remédier au déclin des revenus des taxes sur l’essence et les carburants. En effet, étant donné la demande généralisée pour les économies d’essence et le nombre grandissant de politiques favorisant l’arrivée massive de véhicules électriques et hybrides sur les routes du Canada, la tarification par distance parcourue permettrait de protéger les revenus de l’État contre le fléchissement de la demande de carburant. En dollars actuels, la taxe fédérale sur l’essence a généré 116 M$ de moins en 2016 qu’en 1995, année de son introduction. Le Fonds fédéral de la taxe sur l’essence sert principalement au maintien des infrastructures municipales; par conséquent, les villes et les automobilistes sont les grands perdants de ce déclin.

Plusieurs collectivités ont introduit des systèmes de tarification par distance parcourue au cours de la dernière décennie. Pour un success story, c’est vers l’Oregon qu’il faut se tourner. Mais cet exemple met aussi en lumière le conflit potentiel entre l’objectif de générer des revenus et celui de réduire la congestion routière.

La piste de l’Oregon

Voyant se profiler le déclin des revenus qu’il retire de sa taxe sur l’essence, l’Oregon a lancé des projets pilotes de TDP pour étudier la viabilité de ce type de tarification en tant que substitut. Le premier projet, d’une durée de 10 mois, poursuivait les deux objectifs en même temps : réduire la congestion routière et générer des revenus. Le kilométrage était mesuré par GPS.

Le deuxième projet pilote s’est focalisé sur la création de revenus. Le plan de base se fondait uniquement sur la distance parcourue, tandis qu’un plan avancé tenait compte à la fois de la distance et de la position du véhicule. Les participants étaient facturés 0,98 cents du kilomètre en échange d’une ristourne sur la taxe sur l’essence. Les revenus générés grâce à ce second plan ont surpassé les ristournes de la taxe sur l’essence de près de 28 %.

Le plus récent projet pilote, l’OreGO, a été lancé en juillet 2015. Ce programme volontaire s’adresse aux voitures et aux camionnettes de faible charge, 5 000 participants au maximum. Les conducteurs paient 1,5 cent le mille parcouru. En même temps que leur facture, ils reçoivent un crédit sur la taxe sur l’essence.

Le succès des programmes pilotes de l’Oregon suggère que la tarification par distance parcourue peut être ajustée de manière à réduire la congestion ou à générer des revenus, mais qu’il y a des choix difficiles à faire. La TDP de l’Oregon, lorsqu’appliquée dans un environnement de tarification dynamique selon la zone, a engendré une réduction de la circulation des participants de 22 % aux heures de pointe. Mais réduire la congestion a un coût. Les revenus tirés d’une tarification variable sont nécessairement moins stables, car ce système incite les gens à modifier leurs habitudes automobiles.

Trois dos d’ânes

En dépit de leur flexibilité et de leurs quelques succès sur le terrain, les systèmes de TDP doivent surmonter trois obstacles significatifs : l’équité, la confidentialité et la participation.

Le problème de l’équité est celui de la ville versus la banlieue versus la campagne. Les ruraux conduisent davantage et ont accès à moins de solutions de transport alternatives. La même chose vaut, à plus petite échelle, pour les suburbains. On pourrait remédier à la chose en modulant les tarifs. Mais si la TDP ne fait que remplacer une autre forme de revenu (comme la taxe sur l’essence), alors le problème se sera autocorrigé : les gros conducteurs continueront de payer davantage. La seule différence est qu’ils le feront désormais via la TDP plutôt qu’à travers la taxe sur l’essence.

La protection de la vie privée est essentielle si l’on souhaite l’appui de la population. Lors du premier projet pilote de l’Oregon, des automobilistes ont exprimé des réserves à l’idée de partager avec le gouvernement l’information les concernant. Les programmes où l’on déclare son kilométrage sans passer par un GPS peuvent apaiser ces craintes, mais ils risquent de faire de la TDP un simple instrument de perception plutôt qu’un outil de réduction de la congestion. L’Oregon a atténué la méfiance populaire en vantant les bénéfices tangibles et immédiats du programme pour le public (p. ex., ristournes sur la taxe sur l’essence, info-circulation en temps réel). La population n’aurait sans doute pas embarqué sans une campagne visant à apaiser les craintes au sujet de la vie privée.

Et sans adhésion populaire, les ministères des transports auront du mal à obtenir une participation suffisante : la TDP sera moins efficace dans la lutte contre la congestion routière, et le coût du programme mangera une plus grande part du revenu total. Dans un programme à 10 000 véhicules participants, les dépenses d’exploitation représentent de 20 à 50 % des revenus, alors qu’avec un million d’automobilistes, la part de ces dépenses passe sous les 5 %.

Kilométreur-payeur

À mesure que la technologie s’améliore et que notre capacité à gérer d’énormes quantités de données augmente, l’intérêt de la TDP va continuer de grandir aux yeux des villes canadiennes, notamment pour les plaques tournantes complexes comme le Vancouver métropolitain. Si Toronto reconsidère un jour la tarification de la congestion, elle verra peut-être que de tarifer la distance parcourue représente une solution plus complète et équitable pour réduire le trafic qu’un péage fixe de deux dollars sur le Gardiner Expressway et le Don Valley Parkway.

Mais comme toujours, les concepteurs de politiques doivent se méfier des objectifs multiples. La tarification par distance parcourue est un outil versatile et éprouvé, capable de répondre à plusieurs objectifs; mais peut-être pas tous en même temps.

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