En avoir ou pas : les portefeuilles d’énergies renouvelables et la tarification du carbone

Renewable Portfolio Standards in the world of carbon pricing
Climat et énergie

Dans ce quatrième billet de notre série sur le rôle des politiques complémentaires, je pose la question suivante : un portefeuille d’énergies renouvelables (PER) peut-il remplacer la tarification du carbone? Sinon, peut-il la compléter? Je me penche sur les cas de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard pour évaluer ces deux options.

Qu’est-ce qu’un PER et où puis-je m’en procurer un?

Une norme de portefeuille d’énergies renouvelables est une norme qui fixe un minimum d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique d’une collectivité. Dans un tel système, les producteurs d’énergie doivent obtenir un pourcentage déterminé de l’énergie qu’ils offrent à partir de sources renouvelables, soit en la produisant eux-mêmes, soit en achetant des crédits d’énergie renouvelable (CER) d’un autre producteur. De cette manière, les PER se trouvent implicitement à taxer les hydrocarbures et à subventionner l’énergie renouvelable. Les PER ne rencontrent pas un énorme succès au Canada, mais ils se propagent rapidement aux États-Unis.

Deux provinces canadiennes ont introduit des PER. La Nouvelle-Écosse a adopté ce système en 2007, et établi des cibles de production d’énergie renouvelable de 5 % pour 2011 et de 10 % pour 2013. Ces cibles continuent de reculer. La province a atteint 27 % de production d’énergie renouvelable en 2015 et vise le 40 % pour 2020. Les émissions de GES de la province ont diminué en conséquence. Selon les rapports de l’Inventaire canadien des gaz à effet de serre, l’intensité des émissions de GES de l’électricité produite en Nouvelle-Écosse a diminué de 8 % depuis 2008. Le PER a aussi permis à cette province de négocier un accord d’équivalence qui l’exempte du règlement fédéral de 2012 sur la réduction des émissions de CO2 dues au charbon.

En 2006, l’Île-du-Prince-Édouard s’est donné des objectifs plus exigeants : 15 % de production d’énergie renouvelable en 2010, et 30 % en 2013. Cependant, 18 % de la production d’énergie de la province provenait déjà de l’éolien avant même l’entrée en vigueur des normes de portefeuille d’énergie renouvelable. Ce PER constituait donc essentiellement une obligation pour les stations d’essence et de diesel de l’Île-du-Prince-Édouard d’acheter des crédits de ses fermes éoliennes – davantage une subvention détournée qu’une contrainte appliquée au bouquet énergétique. La demande énergétique fluctue fortement d’une année à l’autre dans cette province. Par conséquent, l’intensité des émissions de GES du secteur de l’électricité ne s’y est pas comportée de la même manière qu’en Nouvelle-Écosse.

Un mauvais substitut?

Une norme de PER est un instrument très ciblé visant un objectif précis : remplacer la production d’énergie fossile par de la production d’énergie renouvelable. Il fait porter tout le fardeau à un seul secteur, ignorant les autres gros pollueurs que sont, par exemple, les transports et l’industrie. Employée seule, cette politique ne peut produire des réductions d’émissions de GES à l’échelle de toute l’économie. Les normes de PER tendent aussi à stimuler seulement certaines technologies – les énergies renouvelables. D’autres occasions d’atténuation seront manquées : remplacer le charbon par le gaz naturel, introduire des normes d’efficacité minimale, ou adopter des technologies émergentes comme la capture et le stockage du carbone.

En conséquence, les normes de PER peuvent se révéler coûteuses par comparaison avec d’autres politiques. Dans leur étude abondamment citée qui classe six solutions de réduction d’émissions dans le secteur de l’électricité, Fischer et Newell concluent que les PER coûtent plus cher que les politiques de tarification des émissions, que les normes de performance et que les taxes ciblées sur l’énergie fossile.

Non seulement les PER sont peu flexibles et inefficaces par rapport à leur coût, mais ils engendrent de l’incertitude. À trop s’appuyer sur des sources d’énergie renouvelable intermittentes, on risque à la fois des hausses du prix de l’électricité et des augmentations d’émissions de GES si le charbon constitue une base de repli importante. En outre, au fur et à mesure que baisse le coût des technologies renouvelables, les normes de PER doivent être renforcées afin de soutenir le prix des crédits d’énergie renouvelable (CER). Maintenir le bon équilibre exige donc des ajustements constants.

Enfin, au contraire des politiques de tarification du carbone, les PER ne génèrent aucun revenu susceptible d’être employé pour réduire d’autres taxes génératrices de distorsions, pour subventionner des efforts d’atténuation supplémentaires, ou pour compenser quiconque serait injustement affecté par la politique.

Un complément douteux?

PER et tarification du carbone ne sont pas mutuellement exclusifs. On peut avoir recours à des normes de PER même si une politique de tarification est déjà en place. Ainsi, par exemple, la Nouvelle-Écosse prévoit maintenant implanter un dispositif d’échange de droits d’émissions (Bourse du carbone) en plus de son PER. Mais comme c’est le cas pour toute politique climatique complémentaire, recourir à des normes de PER n’a de sens économiquement que si elles accomplissent quelque chose que la tarification du carbone ne peut pas faire.

Est-ce le cas?

Il est possible d’affirmer que les politiques de PER engendrent des avantages connexes. Pour chacun des points suivants, toutefois, la tarification du carbone aurait pu atteindre les mêmes objectifs, et à moindre coût.

Premièrement, les conséquences sanitaires de l’énergie produite à partir du charbon sont bien documentées. Si une collectivité dépend lourdement du mazout ou du charbon, des normes de PER peuvent être bénéfiques pour la santé publique.

Deuxièmement, un système de PER peut contraindre les producteurs d’énergie à sauter la barrière du gaz naturel et passer directement du charbon ou du mazout aux énergies renouvelables, ce qui ouvrirait la voie à des réductions d’émissions substantielles à long terme. La chose est particulièrement pertinente pour la Nouvelle-Écosse, étant donné son moratoire sur la fracturation hydraulique. Avec un PER ajouté à un moratoire, on court le risque que la province se replie sur le charbon, le mazout ou du gaz importé comme énergie de base, ce qui ne serait pas une bonne nouvelle du point de vue de l’intensité des émissions.

Troisièmement, l’introduction d’un régime de PER pourrait mettre en marche une industrie viable d’énergie renouvelable. La Nouvelle-Écosse ne dispose d’aucun avantage comparatif clair en matière d’énergie éolienne ou solaire, mais l’énergie marémotrice y semble prometteuse. Pour sa part, l’IPE a plus que doublé sa production d’énergie éolienne en dix ans, mais cela aurait pu survenir même en l’absence de PER.

Il n’y a pas de réponse simple, ici, parce les régimes de PER diffèrent les uns des autres et que les politiques en place interagissent de façon unique dans chaque collectivité. La Nouvelle-Écosse vient d’annoncer l’introduction d’un système d’échange de droits d’émissions en 2018, ce qui en fera la seule province à combiner tarification du carbone et portefeuille d’énergies renouvelables. Son objectif de 40 % d’énergie renouvelable d’ici 2020 permettra-t-il de réaliser quelque chose de plus que la seule tarification du carbone? Cela restera à voir.

On a bel et bien l’impression que les normes de PER ont donné une longueur d’avance à la Nouvelle-Écosse dans la réduction des émissions de GES. Dans son dispositif d’échange de droits d’émissions à venir, le prix du carbone sera sans doute plus bas qu’il ne l’aurait été sans PER. Dans la suite des choses, la province pourra abaisser ses coûts encore davantage en s’appuyant plus sur l’échange de droits d’émission et moins sur le panier d’énergies renouvelables.

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