La tarification de la congestion est-elle pour Ottawa?
Il y a deux semaines, la Healthy Transportation Coalition (HTC) tenait un forum de discussion à l’Université d’Ottawa. Le sujet : la tarification de la congestion routière dans la capitale fédérale. La HTC avait invité six conférenciers experts à ce débat animé (y compris l’intrépide chef de notre équipe de recherche, Dale Beugin). Le même jour, quatre conseillers municipaux de la Ville d’Ottawa rendaient public un nouveau rapport, commandé à la firme d’experts-conseils CPCS, sur la tarification de la congestion à Ottawa.
J’examine aujourd’hui ces nouveaux développements, à la lumière de notre rapport de 2015 sur le sujet. La tarification de la congestion pourrait-elle fonctionner à Ottawa? Si oui, quelle forme pourrait-elle prendre?
L’état des lieux
La congestion routière existe parce que les routes sont d’utilisation gratuite alors même qu’elles sont rares, ce qui encourage leur surutilisation. En rendant les routes payantes, on modifie les motivations des automobilistes et on les encourage à passer à d’autres modes de transport ou à se déplacer hors des heures de pointe. Ajouter de nouvelles routes ou élargir celles qui existent n’est pas une solution à long terme. Sans tarif pour signaler la rareté, plus de voitures envahiront ces routes, et le problème sera reconduit.
Comme nous le notions dans notre rapport, une tarification de la congestion intelligente s’adaptera au contexte et à la géographie. Comme toutes les villes, Ottawa a ses particularités. Plusieurs modèles de tarification ne fonctionneraient pas ici; choisir le bon modèle est crucial.
Le problème de la congestion routière n’affecte pas que les plus grandes villes. Les petites et moyennes villes du Canada en subissent elles aussi les coûts économiques et sociaux.
La bataille qu’Ottawa livre aux embouteillages n’est certes pas comparable à celle de Toronto ou de Vancouver, mais c’est tout de même une bataille. En dépit de sa taille relativement modeste (934 000 personnes dans la ville même), la capitale compte plus de 6 000 km de voies carrossables, presque autant que Toronto. La plupart des Ottaviens vont au travail en voiture, et en moyenne ils mettent pour ce faire 28 pour cent plus de temps que s’il n’y avait aucun embouteillage. Selon une étude, la congestion routière est plus grave à Ottawa qu’à Calgary, Edmonton ou Montréal.
Modes de transport employés dans la région métropolitaine d’Ottawa
Source : CPCS, analyse des données de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011.
Quatre décongestionnants
Le rapport de la firme CPCS évalue quatre solutions pour réduire la congestion et encourager l’utilisation des transports publics à Ottawa : 1) installer des péages sur les routes 417 et 174; 2) tarifer la circulation au centre-ville; 3) augmenter de 30 cents la taxe sur le litre d’essence; 4) imposer une taxe de stationnement de 2 dollars au centre-ville. Le rapport mentionne la tarification par distance parcourue mais il écarte cette solution à cause des obstacles technologiques. Voici les conclusions de CPCS au sujet des quatre options retenues.
Un péage équivalant à 15 cents du kilomètre sur les routes 417 et 174 nécessiterait l’accord de la province. Or le gouvernement ontarien a déjà rejeté cette solution pour la route 174. Un péage sur la route 417 réduirait la circulation et encouragerait en même temps les gens à emprunter le train léger de la ligne de la Confédération qui longera cette route à partir de 2018. Mais cela enverrait également des voitures sur les routes adjacentes, alors qu’elles ne sont pas conçues pour cela. Sans mesures additionnelles pour maîtriser la réponse des automobilistes, les péages constituent probablement un instrument trop pointu pour régler l’ensemble du problème de la congestion à Ottawa. Ils seraient efficaces sur la 417 et la 174, mais ils risqueraient d’aggraver le problème ailleurs.
Un système de tarification par zones, en l’occurrence la perception d’un droit d’entrée de 5 dollars au centre-ville aux heures de pointe, réduirait la congestion aussi efficacement que des péages. L’étude conclut que le nombre de kilomètres parcourus au centre-ville chuterait de 250 000 kilomètres par jour d’ici 2031; c’est l’option qui engendre la plus forte baisse de trafic. Toutefois, le centre d’Ottawa possède de multiples points d’accès. L’implantation de ce système serait donc coûteuse et sa gestion encombrante. Il en coûterait à Ottawa quelque 40 M$ par année, pour des revenus de 60 M$. Les options de recyclage des recettes de la tarification seraient donc assez limitées. En somme, il faudrait que les coûts de cette technologie diminuent beaucoup avant que la tarification par zones devienne viable à Ottawa.
Augmenter la taxe sur l’essence de 30 cents le litre n’affecterait pas le comportement des automobilistes quant au choix de l’heure et du trajet; rien d’étonnant alors à ce que cette option engendre la plus petite réduction du kilométrage parcouru (48 000 par année). Si le but est de diminuer la congestion, les taxes sur l’essence ne sont pas l’idéal. Elles n’envoient pas le signal qu’il faut éviter le centre-ville à certaines heures. En outre, comme nous l’avons démontré, les revenus qu’elles génèrent déclinent avec le temps. Plus la taxe est élevée, moins les gens conduisent; moins ils conduisent, moins ils génèrent de revenus.
Imposer une taxe de stationnement de 2 dollars n’est pas le moyen le plus efficace de réduire la congestion routière, mais selon l’analyse de CPCS, cela pourrait réduire le nombre de kilomètres parcourus au centre-ville de 136 000 kilomètres par jour d’ici 2031. Le grand attrait de cette option réside dans sa simplicité. C’est l’instrument le plus facile à implanter, tant du point de vue technique que du point de vue administratif.
Les trois autres solutions étant problématiques à cause de leur coût ou de leur portée limitée, le rapport conclut que la taxe sur le stationnement est le meilleur choix pour Ottawa, du moins à court terme. C’est en outre un instrument flexible : il peut être ajusté pour influencer les choix des voyageurs selon l’heure, le mode de transport et la zone.
Hello San Francisco
Ottawa ne serait pas la première ville à recourir à une taxe de stationnement pour s’attaquer au problème de la congestion. En 2011, San Francisco a mis en place avec succès un projet pilote appelé SFpark. L’objectif : un taux d’occupation des places de stationnement de 60 à 80 % dans les zones pilotes. En d’autres mots, il s’agit d’attribuer les places de manière plus efficace tout en ayant de 20 à 40 % de places libres en tout temps.
SFpark s’est révélé une façon efficace d’optimiser le stationnement. Le taux d’occupation des places de stationnement a augmenté de 31 % dans les zones pilotes, comparativement à 6 % dans les zones de contrôle. La période durant laquelle une zone était trop congestionnée pour permettre le stationnement (de 90 à 100 % des places occupées) a baissé de 16 % dans les zones pilotes, alors qu’elle augmentait de 51 % dans les zones de contrôle.
SFpark a aussi réduit la congestion. Le temps passé à tourner en rond à la recherche d’une place de stationnement – un facteur important de congestion au centre-ville – a chuté d’environ 50 %. Les kilomètres parcourus ont aussi diminué de 30 % dans les zones pilotes, contre 6 % dans les zones de contrôle.
Zones pilotes et zones de contrôle du projet SFpark
Ottawa : le bon temps pour agir
Le problème de la congestion dans la capitale fédérale est appelé à grandir avec la ville; il ne disparaîtra pas de lui-même. Il faut envisager de nouvelles solutions, et dans l’immédiat une taxe de stationnement semble adaptée à la situation. En effet, pour l’instant, les autres options sont trop chères, trop complexes ou – pire encore – trop ponctuelles.
Suivre les recommandations du rapport de CPSC permettra de réduire le trafic routier et la pollution tout en facilitant la recherche de stationnement au centre-ville. Construire de nouvelles routes et élargir la 417 ne nous rapprocherait pas de ces cibles (et cela ne ferait rien pour réduire les coûts économiques de la congestion). Avec l’arrivée prochaine du train léger, c’est juste le bon moment de réfléchir aux façons d’inciter les gens à modifier leurs comportements automobiles.
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