L’essentiel du dernier rapport de la Commission de l’écofiscalité consacré aux politiques sur les biocarburants
Le dernier rapport de la Commission de l’écofiscalité, intitulé Corriger le tir, fait le point sur les aspects économiques et environnementaux des politiques canadiennes sur les biocarburants. Et si vous n’avez pas le temps de le lire intégralement, en voici les principales conclusions.
Il y a maintenant plus de vingt ans que plusieurs gouvernements du pays viennent en aide à la production et à l’utilisation des biocarburants (lire ici une brève introduction aux biocarburants). Du côté de l’offre, cette aide consiste en subventions à la production (des paiements comptant) versées directement aux producteurs. Du côté de la demande, Ottawa et cinq provinces obligent les distributeurs de carburant à mélanger un taux minimal d’éthanol à l’essence et de biodiesel au diesel.
Ces deux politiques combinées ont clairement favorisé la production et l’utilisation des biocarburants (voir la figure ci-dessous). Le rapport Corriger le tir examine leur incidence économique et environnementale, y compris leur effet sur les émissions de GES et les coûts totaux imposés aux consommateurs, aux contribuables et à l’ensemble de l’économie. Il compare aussi ces politiques à d’autres options qui permettent de réduire les émissions à moindre coût, ce qui est notamment le cas de la tarification du carbone.
Les politiques sur les biocarburants sont un moyen coûteux de réduire les émissions de GES
Les politiques sur les biocarburants ont été renforcées au milieu des années 2000 pour aider le pays à atteindre ses cibles de réduction d’émissions. Et notre analyse montre qu’elles y ont effectivement contribué : en moyenne, on peut leur attribuer des réductions de quelque 3 Mt par année. Ce qui équivaut à environ 1,5 % des émissions du secteur des transports, ou à 0,4 % des émissions totales du pays.
Mais ces réductions ont coûté très cher. Après ajustement de leur contenu énergétique, les biocarburants sont plus coûteux que les combustibles fossiles, ce qui veut dire que les mandats pour carburants renouvelables font augmenter les coûts que doivent assumer les consommateurs et les distributeurs de carburant. Quant aux subventions à la production, qui consistent en paiements comptant versés pour chaque litre de biocarburant produit, elles sont financées par les contribuables. En combinant les coûts aux consommateurs et les coûts budgétaires, on parle ici d’environ 640 millions $ par année sur la période 2012-2015.
Ces 640 millions représentent une grosse somme, surtout lorsqu’on évalue le coût des politiques sur les biocarburants en fonction des réductions d’émissions. Selon cet indicateur, le coût des politiques sur l’éthanol varie de 180 à 185 $ par tonne d’émissions réduites, celui des politiques sur le biodisel variant de 128 à 165 $. Soit un coût plus de cinq fois supérieur à celui des réductions générées par la taxe carbone de la Colombie-Britannique, qui se chiffrent à 30 $ la tonne.
Et il pourrait s’agir d’évaluations optimistes. L’ampleur des réductions attribuables aux biocarburants est en effet contestée en raison de l’incertitude entourant l’estimation de leur cycle de vie (voir la figure de l’AIE ci-dessous). C’est ainsi qu’en utilisant des hypothèses plus pessimistes, le coût des politiques sur l’éthanol atteint 238 à 284 $ par tonne d’émissions réduites, celui des politiques sur le biodiesel variant de 189 à 596 $ la tonne.
Les autres objectifs des politiques sur les biocarburants ne semblent pas justifier des coûts aussi élevés
Les politiques sur les biocarburants réduisent à prix fort une certaine quantité d’émissions, mais elles visaient aussi d’autres objectifs. Les gouvernements espéraient ainsi qu’elles favoriseraient la prospérité des agriculteurs et des régions rurales, qu’elles réduiraient la pollution de l’air et qu’elles accéléreraient le développement des biocarburants de prochaine génération.
Mais dans l’ensemble, nous n’avons trouvé aucune donnée probante indiquant qu’elles ont rempli ces objectifs. Sans doute ont-elles bénéficié à certains agriculteurs et producteurs de biocarburants, mais ces avantages ont été neutralisés par leurs répercussions négatives sur d’autres agriculteurs et secteurs d’activité. Selon la propre analyse coût-avantages du gouvernement fédéral, les coûts économiques des mandats pour carburants renouvelables dépassent de loin leurs avantages.
En matière de réduction de la pollution, nous avons aussi découvert que l’utilisation de l’éthanol et du biodiesel a joué un rôle négligeable. Ce qui s’explique par les faibles taux de mélange aux carburants à base de pétrole, mais aussi par le fait que certains biocarburants peuvent en réalité accroître les émissions de certains polluants.
Pour ce qui est enfin de l’incidence de ces politiques sur le développement et la valorisation des biocarburants de prochaine génération, il est tout aussi minime. Aujourd’hui encore, l’éthanol et le biodiesel de première génération comptent pour la quasi-totalité des biocarburants produits au Canada. Et selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie, la production et la consommation canadiennes de biocarburants resteront stables à court et moyen terme en l’absence de nouvelles politiques gouvernementales efficaces.
Adieu aux politiques sur les biocarburants, bienvenue à la tarification du carbone !
À la lumière de notre analyse, le rapport Corriger le tir formule quatre recommandations :
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Il faut retirer comme prévu les subventions fédérales et provinciales à la production de biocarburants.
La fin des subventions à la production est prévue pour 2017-2018. Nous estimons qu’il ne faut pas les prolonger ou les renouveler, car elles constituent un moyen trop coûteux de réduire les émissions de GES. En outre, les principes d’attribution des subventions indiquent qu’elles doivent uniquement offrir un soutien transitoire aux secteurs touchés.
La production de biocarburants de première génération bénéficie depuis plus de vingt ans d’une aide gouvernementale substantielle, et elle n’a toujours pas fait la preuve de sa rentabilité. Ce qui indique clairement qu’on ferait un mauvais usage des fonds publics en continuant de lui venir en aide. La transition qui suivra le retrait des subventions sera facilitée du fait que les entreprises savaient dès le départ que cette aide prendrait fin en 2017-2018, ce qui leur permettait de planifier leurs activités en conséquence.
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Ottawa et les provinces doivent retirer graduellement les mandats pour carburants renouvelables.
Après le retrait en 2017-2018 des subventions à la production, les mandats pour carburants renouvelables seront la principale forme de soutien public aux politiques sur les biocarburants. Des politiques qui ont coûté cher aux consommateurs, tenus d’en payer le prix chaque fois qu’ils font le plein d’essence.
Au lieu de créer des incitations applicables à toutes les technologies émergentes, les mandats actuels profitent uniquement au secteur des biocarburants, c’est-à-dire à un sous-ensemble de technologies existantes et potentielles. Et comme les biocarburants à forte intensité carbone (ceux de première génération) sont souvent moins coûteux et plus accessibles, ils n’incitent que faiblement à la production des biocarburants de prochaine génération, et aucunement au développement d’autres technologies automobiles et de carburant.
Pour autant, mieux vaut planifier une transition harmonieuse. Car les mandats ont assuré une demande stable au secteur des biocarburants, à un groupe restreint de producteurs et aux agriculteurs. Il faudrait donc retirer les mandats sur une période de plusieurs années afin de laisser à l’industrie le temps de s’adapter. Surtout, comme le préconisent nos deux dernières recommandations, il faut maintenir de solides incitations en faveur des technologies de transport à faible teneur en carbone, y compris les biocarburants.
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Ottawa et les provinces doivent poursuivre leur collaboration en vue d’établir puis de relever un prix carbone pancanadien.
Sans surprise, cette recommandation découle des autres travaux de la Commission de l’écofiscalité, qui soutiennent que la tarification du carbone constitue pour le Canada le moyen le plus efficace et le plus rentable d’atteindre ses cibles de réduction.
L’expansion de la tarification du carbone à l’échelle du pays est en voie de transformer la politique climatique nationale. C’est pourquoi nous estimons que les politiques ciblant les biocarburants ne sont plus nécessaires. L’application généralisée d’un prix carbone renforcera les incitations au développement et au déploiement de technologies propres en faisant augmenter la valeur des technologies qui favorisent la réduction à moindre coût de plus grandes quantités d’émissions, y compris certains biocarburants.
La Commission de l’écofiscalité renouvelle donc son appui aux gouvernements du pays qui voient dans la tarification du carbone la meilleure politique globale pour atteindre nos objectifs climatiques.
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Pendant la transition qui suivra le retrait des subventions, les gouvernements doivent adopter des normes de rendement flexibles et accroître le financement de la recherche-développement en complément de la tarification du carbone.
À lui seul, un prix carbone pancanadien ne permettra sans doute pas au Canada d’atteindre ses cibles de réduction. Les déficiences du marché risquent notamment de freiner la décarbonisation du secteur des transports, où les substituts aux combustibles fossiles sont rares et les infrastructures peu propices au déploiement de nouvelles technologies.
Pour favoriser cette décarbonisation, Ottawa et les provinces devraient remplacer les mandats pour carburants renouvelables par des normes de rendement flexibles. Les normes de carburant à faible teneur en carbone, par exemple, constitueraient une approche efficiente de transition vers de nouvelles technologies, puisqu’elles étendraient les incitations applicables aux biocarburants à d’autres carburants écologiques. D’autres normes flexibles, comme celles des véhicules zéro émission, pourraient aussi jouer un rôle complémentaire intéressant. Au fur et à mesure de la généralisation et de l’augmentation des prix carbone, il faudra graduellement supprimer ces normes de rendement flexible.
Enfin, en complément des normes de rendement flexibles et d’un prix carbone pancanadien, Ottawa et les provinces doivent continuer de financer la recherche-développement sur les technologies de transport sobres en carbone en vue de combler les écarts entre la découverte, la mise à l’essai et la valorisation de nouvelles technologies encore trop coûteuses pour être développées ou déployées par le secteur privé.
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