1,6 pour cent, ça compte
Les Canadiens ne manquent pas d’arguments économiques et moraux en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais vu leur rôle soi-disant minime dans les émissions planétaires (environ 1,6 %), n’est-ce pas une perte d’énergie? Nos gestes en ce sens comptent-ils pour quelque chose? De fait, ils comptent pour beaucoup, et les données le démontrent de plusieurs manières.
Vue d’ensemble
L’humanité émet chaque année environ 45 000 mégatonnes de gaz à effet de serre (GES). En 2016, la contribution canadienne était de 704 mégatonnes – notre fameux 1,6 %. C’était tout de même suffisant pour faire de nos l’un des 10 plus grands émetteurs du monde.
Source : ECCC, 2017; World Resources Institute, 2017.
Nous sommes d’ailleurs le seul pays de ce top-10 des émetteurs dont la population est inférieure à 100 millions d’habitants. Et nous réalisons cet exploit en ayant le plus haut taux d’émissions de GES par habitant du monde. Le Canada, 0,5 % de l’humanité, génère 1,6 % de ses émissions globales. Notre contribution au problème est démesurée.
Source : ECCC, 2017; Population Reference Bureau, 2017.
Mettons cette contribution en perspective à l’aide de quelques scénarios. Si toutes les nations de notre top-10 possédaient le même taux d’émissions de GES par habitant que le Canada, les émissions planétaires feraient plus que doubler. Si, dans tous les pays du monde, chaque habitant causait autant d’émissions que le Canadien moyen, les émissions de GES de la planète tripleraient. Si on prend les choses par l’autre bout de la lorgnette, un Canadien moyen devrait réduire son empreinte carbone de 60 % simplement pour qu’elle corresponde à celle de l’Européen moyen.
C’est un fait, nous émettons plus que notre part de GES. Et après?
Les arguments moraux
Si le Canada ne met pas en œuvre une politique climatique intelligente et rigoureuse, pourquoi les pays qui ne figurent même pas dans la liste des 10 plus grands émetteurs de gaz à effet de serre devraient-ils le faire?
Je n’ai encore vu personne prétendre que la part chinoise des émissions globales de GES (25 %) était de peu d’importance. En général, on entend plutôt dire que la Chine constitue le principal problème. Si nous acceptons l’idée que les 25 % de la Chine sont importants, nous devons admettre que les 30 % du reste du monde (hormis notre top-10) sont importants eux aussi.
Or, si le Canada refuse d’assumer un rôle de chef de file dans le défi du climat sous prétexte que son 1,6 % n’est pas significatif, à plus forte raison les plus petits émetteurs seront justifiés de ne pas agir. Quelque 180 pays pourraient ainsi arguer collectivement que le problème, ce n’est pas eux non plus. Imaginons un peu que notre entêtement – au lieu de notre détermination – devienne un exemple pour le reste du monde.
Non seulement le Canada est l’un des dix plus grands émetteurs de GES de la planète, il est aussi l’une des dix principales économies mondiales, et cette performance s’appuie sur les combustibles fossiles. S’attaquer à nos émissions de GES ne revient pas à anéantir notre prospérité, mais cela suppose de mettre notre succès économique en face de ses effets secondaires. Si nous pensons convaincre des pays dépourvus d’énergie abondante à bon marché de réduire leurs émissions en plus de s’adapter aux dérèglements climatiques, et ce, sans faire nous-mêmes l’effort d’une vraie politique climatique, il va falloir nous lever de bonne heure. De très bonne heure.
(David Moscrop a quelques idées sur ce sujet également.)
Les arguments économiques
Les arguments économiques en faveur de l’action climatique sont de deux ordres.
En premier lieu, il nous faut réduire le risque de changements climatiques catastrophiques. Ce qui signifie réduire nos émissions de GES de façon responsable, et nous préparer aux inévitables basculements climatiques que nous nous sommes fabriqués nous-mêmes – du moins ceux que nous pouvons prévoir.
Il n’y a pas grand-chose que nous puissions contre les GES que nous avons émis jusqu’à présent. Mais comme l’a montré Joel Wood, chaque tonne de GES que nous nous empêchons d’émettre à partir de maintenant procure des bénéfices.
Au lieu de nous focaliser sur l’impact négligeable qu’a le Canada sur la température du globe, nous devrions nous intéresser aux dommages très concrets de chaque tonne de GES supplémentaire émise par nous, ainsi qu’aux avantages très réels de chaque tonne épargnée. Ces changements incrémentiels n’ont rien de symbolique. Ils contribuent à réduire l’intensité des événements extrêmes les plus prévisibles, tels que les inondations côtières, les sécheresses et la propagation accrue de maladies.
Si le Canada ne prend pas les changements climatiques à bras-le-corps, il pourrait au contraire rencontrer des obstacles économiques et politiques à moyen terme. Par exemple, les pays ayant déjà mis en place une tarification du carbone pourraient commencer à imposer des ajustements aux frontières, en faisant payer le coût du carbone aux exportateurs canadiens ou en leur imposant des tarifs douaniers punitifs. Ce n’est pas de la politique fiction : certains pays vont certainement s’y essayer.
Pour limiter ces risques et incertitudes, il nous faut mettre en œuvre dès que possible des politiques pratiques, marquées au coin du bon-sens et peu coûteuses, et les renforcer avec le temps. Cette logique vaut pour tous les pays, y compris le Canada.
D’un autre côté, nous voulons aussi recueillir tous les avantages financiers qui se présentent. Agir de manière décisive en matière de changements climatiques représente une occasion économique importante pour ceux qui arriveront à suivre la cadence. Ici, nous pouvons réfléchir de façon égoïste à la croissance du marché global des innovations à faible teneur en carbone.
Deux arguments économiques, donc : l’un de type « verre à moitié vide », l’autre de type « verre à moitié plein ». Se rendre à ces deux arguments signifie maîtriser notre 1,6 % d’émissions, partager ce que nous avons appris et vendre ce que nous fabriquons.
Faisons le calcul
Prenez votre budget domestique, ou les dépenses de votre entreprise. Si vous pouviez couper dans ce 1,6 %, le feriez-vous? Avec des cents on fait des dollars; avec des tonnes, des mégatonnes. Le Canada ne manque pas de raisons pour intensifier sa lutte contre les changements climatiques. Et l’idée que, ce faisant, nous serions seuls à le faire est tout simplement fausse. Les autres membres du top-10 mondial des émetteurs ne restent pas là les bras croisés.
Notre mode de vie requiert beaucoup d’énergie. Mais rien n’oblige à ce qu’il requière aussi beaucoup d’émissions de GES. Si nous agissons, il y aura un coût, certes, mais gérable. Nous pouvons commencer maintenant à nous sevrer, en douceur, et nous donner la chance de faire plus avec moins.
S’attaquer au 1,6 % d’émissions de GES du Canada est une occasion d’améliorer nos perspectives économiques à long terme, tout en faisant la preuve qu’une économie à faibles émissions de carbone est à la fois possible et souhaitable. Les pays du monde ont un défi énorme à relever. Le Canada, l’un des plus gros émetteurs de la terre, devrait retrousser ses manches.
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