Le paradoxe des parcs nationaux
Les parcs nationaux du Canada accueillent chaque année des millions de visiteurs. Cette année, pour marquer le 150e anniversaire de la Confédération, l’admission y était gratuite. Comme il fallait s’y attendre, la fréquentation des parcs fédéraux a atteint des niveaux record. Mais les parcs nationaux appartiennent au public. L’accès ne devrait-il pas en être libre en permanence? Plus les gens visitent les parcs nationaux, mieux c’est, non? Dans ce billet, j’explique pourquoi les choses ne sont pas si simples.
Grand concours de peuple
Le réseau des parcs canadiens totalise 327 000 km2 de terres protégées – soit environ la moitié de l’Alberta, ou 3 % du territoire canadien. Si on y ajoute les parcs provinciaux et régionaux et les zones protégées privées, on arrive à 10,5 % des terres émergées.
Durant les six premiers mois de cette année gratuite, la fréquentation des parcs fédéraux était en hausse de 12 %. Dans certains parcs, l’augmentation était de 20 ou 30 % : beaucoup de monde à la messe. L’un d’eux, le Parc national des Lacs-Waterton, au sud de l’Alberta, a même dû fermer temporairement pour cause d’engorgement. Trop de monde à la fois, ou trop de monde en tout, et les problèmes environnementaux commencent – de l’amoncellement des détritus à l’excès de bruit.
Fréquentation des parcs nationaux au Canada (2007-2017)
Source : Parcs Canada
Un parc, deux vocations
Nos parcs nationaux poursuivent des objectifs difficiles à concilier. D’un côté, ils sont là pour que les Canadiens puissent apprécier la nature et (re)prendre contact avec elle. De l’autre, comme nous voulons garder ces lieux « intacts », nous les protégeons contre le développement. On nous permet d’y aller, mais certaines activités sont proscrites. Tel est le compromis.
Pourquoi en est-il ainsi?
Visiter un parc national entraîne des externalités. Il y a par exemple l’empreinte environnementale laissée par ceux et celles qui sortent des sentiers ou de la route, qui ne ramassent pas leurs déchets ou qui font ami-ami avec les animaux sauvages. Un autre coût moins évident tient au fait que tous les parcs ont une capacité maximale. Lorsque vous entrez dans l’un deux, vous empêchez quelqu’un d’autre de le faire, peu importe sa volonté ou la somme qu’il serait prêt à débourser.
Les droits d’entrée qu’on exige à l’entrée des parcs et des zones protégées se justifient par deux raisons principales :
- Premièrement, le signal de prix augmente la valeur de ces ressources naturelles. Un droit d’entrée même symbolique permet d’écarter ceux et celles qui n’apprécient pas particulièrement ces espaces mais qui seraient tentés d’en profiter gratuitement. À cause de leur répugnance à payer, on maintient un niveau de fréquentation raisonnable, ce qui aide à la conservation des lieux.
- Deuxièmement, les amants de la nature qui viennent profiter du parc – et qui paient le droit d’entrée – financent directement les efforts de conservation et d’administration des lieux.
Les deux groupes de personnes contribuent donc à la santé du parc à long terme : le premier par son absence, le second par son portefeuille.
Reste bien sûr à savoir quel montant il convient de faire payer.
Le juste prix
Nous voulons à la fois protéger nos parcs et en garantir l’accessibilité. Comment faire en sorte qu’ils demeurent abordables (pour tout le monde, pas juste pour les riches) tout en les préservant pour la prochaine génération?
Si les parcs font payer un prix élevé, on favorisera la conservation mais on nuira à l’accessibilité; et il n’est même pas certain que l’on augmenterait les revenus, puisque la fréquentation baisserait. Un tarif élevé réduit notre empreinte environnementale mais place les parcs hors de portée de beaucoup de gens. C’est la critique qu’on entend aux États-Unis, où il est question de doubler les frais d’admission pour certains parcs nationaux.
Si en revanche l’entrée des parcs est gratuite, on a le problème inverse. L’accessibilité est assurée, mais la conservation est fragilisée.
Tout un chacun, mais pas tout le monde
La solution sensée, du point de vue environnemental et économique, est d’imposer un droit d’entrée relativement modeste. Ce prix signale au visiteur que la nature a de la valeur, il génère des revenus pour l’entretien, et il garantit l’accessibilité. Il y a plusieurs façons de procéder. Certains parcs adoptent une tarification modulée : les visiteurs paient un montant différent selon la saison (ou même selon l’heure du jour); on peut ainsi mieux gérer les périodes de pointe. D’autres ont recours à la tarification dynamique : le droit d’entrée est ajusté en temps réel en fonction de l’affluence.
Tout le monde n’accorde pas le même prix à la nature. En faisant payer un droit d’admission au poste d’accueil de nos parcs nationaux, on s’assure que seuls les gens qui lui accordent de la valeur pourront entrer et aider à financer sa conservation. Les autres iront ailleurs. Les visiteurs doivent payer, mais tout Canadien devrait pouvoir être visiteur s’il le désire. En d’autres mots, nous voulons que les parcs nationaux puissent accueillir tout un chacun, mais nous ne voulons pas qu’ils accueillent tout le monde.
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