Politiques complémentaires 3: augmenter ses avantages en Alberta

alberta coal electricity
Climat et énergie La pollution

Le plan de lutte contre les changements climatiques de l’Alberta, le Climate Leadership Plan, est plus qu’une simple taxe sur le carbone. C’est un train de mesures complet visant à réduire les émissions de GES. L’une des pièces maîtresses de ce plan est l’abandon de la production d’électricité à partir de charbon d’ici 2030. Dans quelle mesure cette politique complète-t-elle avantageusement la tarification du carbone? Aujourd’hui, suite de nos précédents billets sur les politiques qui comblent des lacunes (gap-fillers) et celles qui amplifient le signal de prix (signal-boosting), nous nous penchons sur un troisième et dernier genre de politique complémentaire : celles qui augmentent les avantages (benefit-expanders). Et nous prenons comme exemple l’adieu albertain au charbon.

Davantage d’avantages

Notre plus récent rapport est formel : la tarification du carbone doit être la pierre d’assise de toute démarche visant à réduire les émissions de GES de manière significative et efficace par rapport aux coûts. Mais d’autres politiques peuvent venir compléter la tarification du carbone et nous permettre d’obtenir davantage de réductions d’émissions pour notre argent. Comme nous l’avons vu dans nos deux derniers billets, ces politiques peuvent permettre de dénicher des occasions de mitigation à bon prix laissées de côté par la tarification du carbone; ou encore, elles peuvent renforcer le signal de prix envoyé par la tarification pour faire en sorte que celle-ci soit plus efficace.

Mais les politiques climatiques ne sont pas toujours que des politiques climatiques. Certaines d’entre elles peuvent procurer d’autres avantages que la seule mitigation des émissions de GES. Par exemple, développer les réseaux cyclables et de transport en commun permet de réduire l’utilisation de l’automobile (et donc les émissions de GES), mais cela permet en plus d’améliorer la mobilité urbaine. L’investissement dans les technologies propres réduit les émissions tout en créant de l’emploi et des possibilités d’exportation. En somme, les politiques qui augmentent les avantages procurent à la fois des réductions de GES et des bienfaits d’une nature différente. Si l’on fait entrer ces avantages connexes dans le calcul des coûts, une politique peut se révéler en fin de compte moins onéreuse qu’il n’y paraît de prime abord.

Mais pour que de telles politiques complètent réellement la tarification du carbone, elles doivent procurer des avantages de façon efficace par rapport aux coûts. Des avantages connexes peuvent améliorer l’efficience d’une politique climatique, mais ils ne se justifient pas à eux seuls.

La fin du dieu charbon

Si elle se conforme à son Climate Leadership Plan, l’Alberta cessera toute production d’électricité à partir du charbon d’ici 2030. La mesure vise six centrales au charbon qui autrement seraient demeurées en service après cette date. Parallèlement, la taxe albertaine sur le carbone pour les gros émetteurs (CCR, pour Carbon Competitiveness Regulation) entrera en vigueur l’an prochain. Cette taxe s’appliquera entre autres à la production d’électricité, ce qui signifie que les deux politiques (retrait du charbon et CCR) se chevaucheront en ce qui concerne les émissions de GES.

L’élimination progressive du charbon est une politique qui entre dans la catégorie de celles qui augmentent les avantages, parce qu’elle aura pour effet de réduire des émissions nocives pour la santé publique. Les dépenses de santé liées à la combustion du charbon peuvent être importantes : l’étude de l’Institut Pembina que nous citons dans notre étude avance que la génération d’électricité à partir de charbon en Alberta coûte à cette province près de 500 M$ en dépenses de santé chaque année (figure 1). Abandonner le charbon permettrait de réduire ces dépenses – un avantage connexe qui ferait baisser le coût net de la politique climatique.

Figure 1. Effets sur la santé des Albertains des centrales thermiques au charbon, 2015

effet sur la sante des albertains des centrales thermiques au carbon

Source : Institut Pembina.

Des tonnes de variables

Dans notre rapport, nous évaluons la performance de cette politique en construisant un modèle des coûts d’approvisionnement en électricité et des décisions d’entreprise en Alberta. Le modèle indique que sans le désengagement du charbon, les centrales au charbon de la province auraient connu une baisse importante d’activité à cause de la taxe albertaine pour les gros émetteurs (CCR). Autrement dit, l’essentiel de la mitigation des émissions dues au charbon aurait été attribuable à la CCR. La politique d’élimination du charbon se serait simplement chargée de ce qui restait.

La question est de savoir combien il serait resté de ces émissions. Difficile à dire. Tout dépend de l’évolution du marché de l’électricité en Alberta d’ici 2030. Et le calcul est encore plus complexe à cause de la transition annoncée d’un marché de l’électricité fondé sur la production (energy-only market) à un marché fondé sur la capacité de production (capacity market).

Afin de tenir compte de ces facteurs d’incertitude, notre modèle présente les réductions d’émissions attendues et leurs coûts à l’intérieur d’une fourchette. En appliquant uniquement la CCR, on prévoit que les centrales au charbon albertaines continueraient d’exister après 2030, en fonctionnant à un facteur d’utilisation (ou taux de charge) de 5 à 15 pour cent. La mitigation cumulative due à cette politique pourrait atteindre 49 mégatonnes, ou encore zéro mégatonne (je m’explique dans un instant). Et le coût de cette mitigation se situerait entre 42 et 99 dollars la tonne. Fait important, les avantages pour la santé publique viendraient réduire le coût net de la CCR d’environ 21 dollars la tonne.

Comme le montre la figure 2, les coûts de cette politique se situent dans la zone moyenne : ils se situent au-dessus du cours actuel du carbone, mais au-dessous du prix qu’il faudra payer si le Canada veut atteindre sa cible en 2030.

Figure 2. Évaluation des coûts de la politique de retrait du charbon de l’Alberta

prix carbone alberta

Puisque les installations de production électrique sont bonnes pour plusieurs décennies, on peut avancer qu’une politique comportant des coûts de cet ordre peut se justifier en tant que politique complémentaire d’avenir. (En effet, la lenteur de la rotation des stocks dans le secteur de l’électricité nécessite que l’on évalue les coûts des politiques en fonction du prix futur du carbone, non du prix actuel.) Au final, en se basant sur les renseignements disponibles, notre rapport conclut que la politique d’élimination graduelle du charbon de l’Alberta serait probablement une bonne politique complémentaire.

On nous écrit

Depuis la publication de notre rapport, nous avons reçu des commentaires intéressants. Sara Hastings-Simon et Binnu Jeyakumar, de l’Institut Pembina, nous font remarquer que lorsqu’elles fonctionnent à faible capacité, les centrales électriques au charbon ont une intensité d’émissions plus élevée. Ceci fait en sorte qu’à un facteur d’utilisation de 5 ou 10 pour cent, la production d’électricité au charbon cesserait d’être rentable. En conséquence, les réductions d’émissions estimées se déplaceraient vers le haut de notre fourchette, et les coûts vers le bas.
Par ailleurs, avec le nouveau marché albertain fondé sur la capacité de production, les centrales au charbon seront plus susceptibles de « s’accrocher », en attendant que la compétition disparaisse ou que le prix de l’électricité bondisse. Cela aussi aurait pour effet d’augmenter la mitigation des émissions et de réduire leurs coûts.

Démêler tout ça

Ces détails ont des conséquences importantes sur les coûts de la politique. Mais plus fondamentalement, il faut se demander ce que la politique d’élimination graduelle du charbon accomplit que la CCR n’aurait pas fait toute seule. Comme l’indique notre rapport, la CCR pourrait très bien venir à bout du charbon sans l’aide d’une politique complémentaire – si d’ici 2030 il devenait non rentable de produire de l’électricité à partir de charbon, peu importe le facteur d’utilisation. Dans cette situation, la mitigation des émissions imputable à la politique d’élimination du charbon serait égale à zéro.

Évidemment, il est difficile de donner des paramètres précis à ce scénario hypothétique. Certains développements récents peuvent nous y aider un peu – mais pas beaucoup.

Les propriétaires de centrales thermiques au charbon visées par le règlement ont indiqué récemment qu’ils entendaient fermer ou convertir leurs usines avant l’échéance de 2030. Cette annonce, pourrait-on conclure, prouve que la politique d’élimination du charbon est efficace : les centrales destinées à cesser leurs activités en 2030 ont décidé de le faire dès maintenant. Toutefois, nous ne disposons pas de l’analyse contrefactuelle : nous ne savons pas si la CCR ou les forces du marché auraient conduit au même résultat de façon indépendante. C’est un bon exemple de la difficulté de démêler les impacts de politiques qui se chevauchent. Et cela montre qu’il est important de tenir compte des interactions de politiques lorsqu’on évalue une politique climatique.

Dans ces circonstances, le caractère réellement complémentaire de la politique albertaine d’élimination du charbon demeure quelque peu incertain. Dans l’ensemble, nous jugeons que cette politique pourrait compléter avantageusement la tarification du carbone. Tout dépend de la manière dont les producteurs auraient réagi à la CCR seule, ainsi que de l’évolution du marché de l’électricité d’ici au cours des 13 prochaines années.

Tous les avantages connexes ne sont pas mesurables

Encore un mot. Il existe peut-être dans cette histoire un autre avantage dont nous n’avons pas parlé. Programmer l’élimination totale du charbon envoie un signal fort aux autres États, tant au Canada qu’à l’étranger. Le message est que l’Alberta est déterminée à réduire ses émissions de GES. En plus de montrer que la province n’est pas une retardataire sur la question du climat, la politique d’élimination du charbon peut affermir la résolution d’autres États dans l’élaboration de leurs politiques climatiques. Mais je vous accorde que cet avantage est plus difficile à quantifier que les effets sur la santé publique (lesquels ne sont déjà pas faciles à mesurer).

Ce qu’il faut retenir des politiques qui augmentent les avantages, c’est qu’au moment d’évaluer les mérites d’une politique climatique, il convient de tenir compte de l’ensemble des avantages connexes potentiels. À défaut de ce faire, on risque de conclure qu’une politique complémentaire est beaucoup plus coûteuse qu’elle ne l’est en réalité.

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