Politiques complémentaires 2 : « amplifier le signal » en subventionnant les voitures électriques?
Les consommateurs québécois ont plus d’une bonne raison d’envisager l’achat d’un véhicule électrique (VE). Bien sûr, la Bourse du carbone à laquelle participe le Québec fait augmenter progressivement le prix de l’essence. Mais la province octroie en plus des remises en espèces aux automobilistes qui passent à la propulsion électrique. Cette combinaison de mesures est-elle de bonne politique? Le Québec – ou n’importe quelle province – a-t-il besoin à la fois de la tarification du carbone et des rabais pour VE? Autrement dit, les subventions pour les VE sont-elles un bon complément à la tarification? Pour faire suite à notre billet de la semaine dernière sur les politiques qui comblent des lacunes (gap-fillers), je prends aujourd’hui l’exemple des rabais à l’achat (ou à la location) des VE du gouvernement du Québec afin d’explorer un deuxième type de politiques complémentaires : celles qui renforcent un signal.
Quel signal?
C’est à la tarification du carbone qu’il faut laisser faire le gros du travail de réduction des émissions de GES, si l’on veut minimiser les coûts. Mais la tarification ne peut pas toujours tout faire. C’est ici qu’interviennent les politiques complémentaires, objet de notre plus récent rapport.
Certaines politiques peuvent compléter la tarification du carbone en amplifiant le signal de prix que le tarif envoie. En s’attaquant à d’autres problèmes du marché, ces politiques peuvent améliorer la performance de la tarification. Sauf que ce n’est pas nécessairement le cas. Pour qu’une politique d’amplification du signal complète réellement la tarification du carbone, il faut qu’elle accomplisse quelque chose que la tarification n’accomplit pas.
Je parle ici, en langage économique, de défaillances du marché. En soi, la tarification du carbone corrige une importante défaillance du marché : sans une telle politique, envoyer des gaz à effet de serre dans l’atmosphère – et ainsi amplifier des changements climatiques planétaires très onéreux – ne coûterait strictement rien. Mais le marché comporte aussi d’autres défaillances, qui peuvent à leur tour justifier d’autres politiques correctrices (voir le tableau 3, ici, pour des exemples).
La subvention aux VE : un bon amplificateur de signal?
En ce qui concerne les véhicules électriques – et plus généralement la décarbonisation du secteur des transports –, il existe certaines défaillances du marché qui requièrent des mesures supplémentaires.
Ainsi, par exemple, il serait bénéfique à l’ensemble de la société que l’utilisation des VE augmente considérablement et que les réseaux de bornes de recharge se développent. Or les individus et les entreprises n’ont pas directement intérêt à développer des réseaux. Pourtant, quand le réseau sera là, les acheteurs de VE auront beaucoup moins à craindre de rester en plan avec leur batterie vide. Ce genre de problème – le manque d’infrastructure – peut constituer une défaillance du marché. Une politique qui soutiendrait le développement des réseaux de bornes de recharge pourrait donc procurer un bénéfice net à la société… à condition que le coût de cette politique soit adéquat.
En revanche, le fait que les gens réagissent trop peu ou trop lentement au signal de prix du tarif carbone ne justifie pas nécessairement que l’on mette en œuvre une politique supplémentaire. L’adoption tardive du VE peut aussi bien refléter des préférences ou des coûts sous-jacents. Peut-être les consommateurs affichent-ils un sain scepticisme à l’égard des technologies émergentes. Ces préférences ne sont pas un problème de la tarification du carbone; elles ne font que refléter d’éventuels coûts non financiers.
En outre, l’existence d’une défaillance du marché ne suffit pas en soi à justifier l’adoption d’une politique d’amplification complémentaire. Encore faut-il que cette politique soit efficace par rapport aux coûts.
Les subventions québécoises aux VE sont-elles performantes?
En vertu du programme Roulez électrique du Québec, l’acquisition ou la location d’un véhicule entièrement électrique, électrique à basse vitesse ou hybride rechargeable donne droit à une remise gouvernementale pouvant atteindre 8 000 dollars. Le programme a été lancé en 2012 et demeurera en vigueur jusqu’en 2020, ou jusqu’à épuisement des fonds. Le Québec est l’une des trois provinces canadiennes qui offrent des subventions importantes pour véhicules électriques rechargeables (PEV); l’Ontario et la Colombie-Britannique en subventionnent également l’achat, à hauteur de 14 000 dollars et 5 000 dollars, respectivement.
Nous avons examiné attentivement la politique québécoise. Notre conclusion est que cette politique contribue effectivement à réduire les émissions de GES, mais qu’elle le fait au coût de 400 dollars la tonne ou presque. Ce sont là des réductions d’émissions très dispendieuses : plus chères que les tarifs du carbone actuels; plus chères que le coût social estimé du carbone; et plus chères même que le prix cible du carbone dans un scénario de réduction radicale des émissions.
Ce coût élevé par tonne est en partie attribuable au fait que l’argent servant aux subventions provient de revenus fiscaux : en l’occurrence, de la vente de quotas d’émissions (Bourse du carbone). Recueillir des fonds par voie fiscale comporte des coûts. On peut comprendre la chose de la façon suivante : les revenus fiscaux ont un coût d’opportunité; ils auraient pu être utilisés pour réduire d’autres taxes ou pour subventionner d’autres programmes.
Mais le coût élevé des réductions d’émissions obtenues grâce à Roulez électrique résulte aussi du fait que certains bénéficiaires de la subvention auraient acheté un VE de toute manière, même sans la subvention (free-ridership). Dans ces cas-là, la politique occasionne des coûts sans aucun bénéfice correspondant.
En somme, on pourrait probablement faire mieux. Les bonnes politiques climatiques réduisent les émissions de GES, mais elles le font de façon économique.
Que faire?
Est-ce à dire qu’il n’y a pas lieu, dans ce cas précis, d’instaurer une politique complémentaire? Pas nécessairement. Comme l’écrit Clare Demerse, du laboratoire d’idées Clean Energy Canada, dans une critique mesurée de nos analyses, nous ne devrions pas dédaigner les bénéfices potentiels d’une pénétration accrue des véhicules électriques sur le marché.
La solution résiderait dans une meilleure politique complémentaire.
On pourrait par exemple tâcher de mieux cibler la défaillance du marché. Si le principal problème des véhicules électriques est le manque d’infrastructure, une solution serait de subventionner des bornes de recharge publiques. De la même façon qu’il est sensé de subventionner un réseau de distribution électrique ou de transport public, il pourrait être avantageux de financer le développement de tels réseaux pour VE à partir du trésor public.
On pourrait aussi tenter d’améliorer la conception de la politique. Il existe une autre politique québécoise sur les voitures personnelles, qui consiste en un règlement obligeant les fabricants d’automobiles à vendre un minimum d’autos à zéro ou à faibles émissions, tout en leur laissant le choix des moyens pour respecter ce quota. Comme l’écrit Mark Jaccard, ce type de politique flexible est une façon moins coûteuse de provoquer des changements dans le secteur des transports. Et cette politique est neutre du point de vue technologique : les manufacturiers peuvent s’y conformer en vendant des VE, des voitures roulant au biocarburant, ou autre chose.
D’une manière ou d’une autre, les gouvernements doivent effectuer une analyse coût/avantage des politiques complémentaires qu’ils mettent en œuvre. Comme on l’a vu aujourd’hui, une politique peut avoir des objectifs valables tout en étant trop onéreuse. Dans ces cas-là, il est préférable d’éliminer progressivement la politique et de s’en remettre à la tarification du carbone.
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