L’analyse contrefactuelle à la rescousse
Nous l’avons démontré à l’envi : les taxes sur le carbone fonctionnent. Mais si, en dépit de cette tarification, les émissions de GES continuent d’augmenter, que faut-il en conclure? Cela peut vouloir dire que le prix du carbone est trop bas. Mais ça ne signifie pas que la taxe elle-même soit inefficace. Prenons le cas de la taxe sur le carbone introduite par la Colombie-Britannique en 2008 : les émissions par habitant ont chuté, mais les émissions globales de la province, elles, ont augmenté. Comment est-ce possible? La province devrait-elle changer son fusil d’épaule? La réponse est non.
Qu’est-ce que l’analyse contrefactuelle?
D’abord, la question n’est pas posée tout à fait correctement. Lorsqu’on mesure les effets de la tarification du carbone en Colombie-Britannique (ou ailleurs), ce qu’on veut vraiment savoir, c’est : que se serait-il passé sans la tarification? C’est ce qu’on nomme une analyse contrefactuelle. Contrairement à ce que certains croient, l’efficacité de la taxe carbone ne se mesure pas à l’aune des émissions globales; elle se mesure par rapport à la situation (contrefactuelle) sans tarif carbone.
Les émissions globales de la province ont augmenté après 2008, c’est vrai, mais cela ne signifie pas que sa taxe sur le carbone est inefficace. Cela indique plutôt qu’au tarif de 30 dollars la tonne d’équivalent CO2, elle n’est pas assez rigoureuse pour infléchir les comportements au point de réduire les émissions globales. (Je reviens plus bas sur la question de la « rigueur ».)
Ça gaze!
Il n’est jamais facile d’isoler les effets d’un seul facteur comme une taxe sur le carbone. Ce blogue ne faisant pas dans l’économétrie, on peut toutefois s’en faire une idée en observant ce qui s’est passé dans d’autres provinces, celles où le carbone n’était pas taxé. Les gens de l’ , mais j’aborde le problème un peu différemment ici.
Le graphique ci-dessous présente la consommation par habitant de combustibles fossiles, soit les combustibles qui sont visés par la tarification du carbone. On peut y observer la tendance britanno-colombienne depuis l’introduction de la taxe en 2008, par comparaison avec la tendance dans les autres provinces. La demande en C.-B. a baissé, à la fois de façon globale et relativement à quelques provinces canadiennes importantes.
Source : analyse basée sur CANSIM, tableaux 405-0002 et 051-0001
Un facteur parmi (beaucoup) d’autres
Il se passe beaucoup de choses dans ce graphique. Une multiplicité de facteurs influencent les courbes d’une province à l’autre et dans la durée. Il faut interpréter ce genre de données avec la plus grande prudence.
La hausse des ventes d’essence en Colombie-Britannique de 2013 à 2015, par exemple, n’indique pas nécessairement que la taxe sur le carbone a échoué. C’est une bonne illustration de l’importance du contexte et de l’analyse contrefactuelle.
Au cours des trois dernières années, le prix de l’essence a dégringolé – en même temps que celui du pétrole. À court terme, les automobilistes réagissent à la tarification du carbone en conduisant moins. À plus long terme, ils se tournent vers des véhicules écoénergétiques. Mais lorsque l’essence devient bon marché, la demande pour un rendement énergétique supérieur diminue, ce qui peut annuler le signal de prix envoyé par la taxe sur le carbone. On voit ce phénomène en action dans le type de véhicule que les Britanno-Colombiens ont acheté depuis une dizaine d’années.
Source: CANSIM, tableau 079-0003
On notera que même lorsque les gens se sont mis à acheter moins de véhicules écoénergétiques et plus de véhicules dans l’ensemble, la demande globale d’essence en Colombie-Britannique est demeurée sous contrôle. Sauf en 2015, les ventes d’essence dans cette province n’ont jamais dépassé le niveau de 2007. Pour leur part, les ventes d’essence dans le reste du Canada (où jusqu’à récemment aucune tarification du carbone n’existait) ont continué d’augmenter. À mesure que dans les autres provinces le prix du carbone rattrapera celui de la C.-B., on peut s’attendre à des résultats similaires.
Source: analyse basée sur CANSIM, tableau 405-0002
Plus la politique est rigoureuse, plus les comportements changent
Les prix influencent notre façon d’envisager nos achats, de soupeser les avantages et les inconvénients, de penser à des substituts, et rétrospectivement ils influencent notre manière de considérer les choix que nous avons faits. En d’autres mots, les prix modifient les comportements. Quand on met un prix sur quelque chose, on indique ce qu’il en coûtera pour le consommer, ce qui affecte la quantité qu’on voudra consommer.
Si vous voulez davantage de réductions d’émissions, il vous faut, en toute logique, un prix du carbone plus élevé. Les données que nous venons d’analyser n’indiquent pas l’échec de la tarification du carbone, mais elles peuvent suggérer qu’il faille une politique plus rigoureuse.
La taxe carbone de 30 dollars de la Colombie-Britannique n’a peut-être pas impulsé un changement de comportement généralisé (bien que certains automobilistes aient de toute évidence réagi au changement de prix). À 50 dollars, toutefois, on peut s’attendre à voir davantage de covoiturage et une demande accrue pour le transport public et, à plus long terme, pour les véhicules écoénergétiques.
Si nous souhaitons atteindre les cibles d’émissions du Canada pour 2030, il importe bien sûr que les émissions globales diminuent. Mais s’il s’agit d’évaluer l’impact de la tarification du carbone, ce qui importe véritablement c’est ce qui se passe versus ce qui aurait pu se passer. Pour le savoir, il faut des analyses exhaustives qui cherchent à isoler l’effet de la taxe carbone (comme ici, ici et là). Si l’on veut des réductions d’émissions plus profondes, le prix du carbone doit être augmenté. Si malgré tout les émissions continuent d’augmenter, rappelez-vous ceci : le problème n’est pas l’instrument, c’est l’habileté du musicien à en jouer.
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