Le sel de déglaçage : combattre l’hiver à prix d’or
Avec l’hiver qui recule et le printemps qui s’insinue dans l’air, les Canadiens peuvent observer partout les résidus crayeux du sel de voirie. Le sel est un moyen peu coûteux de déneiger et de déglacer nos rues. Mais les dommages écologiques qu’il occasionne sont, à terme, très dispendieux. L’écofiscalité peut-elle offrir quelque chose contre ce problème? Ou alors une politique d’un autre genre?
Factures salées
Le Canada adore le sel : chaque hiver nous en déversons 7 millions de tonnes sur nos routes, nos trottoirs et nos parkings. La sûreté du public nécessite que nous ayons des rues dégagées, mais le sel de voirie est corrosif et toxique. Il fait vieillir prématurément routes, ponts, voitures et immeubles et dégrade les écosystèmes et les cours d’eau.
Notre amour du sel nous coûte cher, à court et à long terme. À 50 dollars la tonne, la facture de l’épandage se monte à 350 M$ chaque année. Quant aux dommages économiques et environnementaux, les estimations varient entre 680 à 3 900 dollars par tonne, en dollars constants. En restant prudent, on peut avancer que les coûts additionnels pour les biens d’équipements et les écosystèmes s’élèvent à 4,8 G$ – et la plupart de ces coûts n’apparaissent nulle part dans les comptes publics.
En d’autres termes, l’utilisation du sel crée des externalités. La Commission de l’écofiscalité s’intéresse beaucoup aux externalités. Et elle s’intéresse aux politiques publiques capables de les prendre en compte.
Cachez ce coût
Les municipalités savent bien que l’emploi du sel de voirie (le chlorure de sodium, pour les intimes) est problématique, mais elles s’en servent quand même : le sel est peu coûteux et son action est immédiate, alors que ses externalités se développent de façon diffuse dans la longue durée et demeurent souvent invisibles.
Les coûts épongés par le privé sont aisément identifiables mais difficiles à quantifier, surtout de façon globale. Les automobilistes paient pour la dégradation de leurs freins et de leurs châssis, et les propriétaires d’immeubles pour la corrosion de l’acier et de l’armature. Ces coûts sont considérés comme normaux : après tout, on ne peut pas faire des affaires en patinant sur la glace vive cinq mois par l’année.
Les coûts environnementaux, eux, sont plus diffus. Comme ils débordent les frontières des villes, aussi les municipalités ont peu d’intérêt à les prendre en ligne de compte. Elles doivent évidemment traiter les eaux de ruissellement salées recueillies par leurs collecteurs d’eaux pluviales, mais pour l’essentiel les glaces fondues parviennent jusqu’aux lacs et aux rivières. Comme elles sont de simples créatures des provinces, les municipalités n’ont ni la juridiction ni les ressources qu’il faut pour s’attaquer à ces impacts environnementaux à plus grande échelle.
Pourtant, les municipalités ont tout intérêt à redouter l’impact du sel sur la durée de vie de leurs équipements. Le problème est que les déficits d’exercice sont beaucoup plus problématiques pour elles que les déficits de capitaux. En utilisant le sel de déglaçage, elles évitent les premiers et favorisent les seconds; les coûts de mise à niveau et remplacement (mais pas ceux d’entretien) sont alors épongés par différents programmes de subvention fédéraux et provinciaux. Par ailleurs, peu de municipalités possèdent une instance pour coordonner leurs finances; il s’ensuit que certains services ne prennent pas en compte (ou n’internalisent pas, en jargon d’économiste) ces coûts.
Un problème particulier
Les municipalités du Canada empruntent différentes avenues pour mitiger les effets du sel de voirie. La plupart s’imposent volontairement des codes de bonnes pratiques pour réduire son utilisation, mais certaines ont choisi d’implanter des projets pilotes :
- Le plan de gestion du sel de Toronto permet de déterminer la quantité exacte de sel requise en fonction des précipitations, du terrain et de la zone concernée.
- Halifax étend un produit contenant 23 % de sel avant qu’il ne neige, ce qui réduit les quantités nécessaires.
- Saskatoon a récemment lancé un projet pilote : le sel de voirie est mouillé avant d’être épandu, pour en augmenter l’adhérence.
- D’autres municipalités plus petites, comme Cowansville au Québec, mouillent leur sel avec du jus de betterave ou d’autres agents non conventionnels.
- Calgary emploie un mélange de sable et de gravier et n’a recours au sel que dans les conditions d’efficacité optimales de cet agent, soit entre 0 et -10 o
- Edmonton va un peu plus loin en recyclant de 70 à 80 % du sel épandu sur la chaussée pendant l’hiver.
Et qu’en est-il de la tarification?
Est-ce qu’une politique écofiscale pourrait réduire les dommages de façon plus efficace et moins coûteuse?
En un mot comme en mille, non, pas vraiment. Tarifer le sel pour refléter les dommages qu’il cause ne fonctionnerait probablement pas. Les municipalités n’ont pas le pouvoir de taxer les utilisations privées, et elles ne peuvent se taxer elles-mêmes. Même si elles le pouvaient, elles n’auraient pas grand avantage à le faire, puisqu’elles recueilleraient elles-mêmes le produit de la taxe. Les autres instruments sont également problématiques. La réglementation municipale, par exemple. On ne peut s’attendre à ce que les municipalités s’autoréglementent ou adoptent des substituts (de 6 à
Notre marotte, à la Commission de l’écofiscalité, ce sont les politiques de tarification. Et pour beaucoup d’externalités environnementales, comme les émissions de GES, l’utilisation de l’eau et la congestion routière, tarifer l’externalité est la solution la plus efficace et la plus efficiente. Mais pour certains problèmes, d’autres approches doivent primer. Les politiques écofiscales sont un remarquable outil, mais ce n’est pas parce qu’un menuisier a un marteau préféré que tous les problèmes sont des clous.
Le sel de déglaçage est l’un de ces problèmes particuliers. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse d’un petit problème : vu ce que nous coûte le sel chaque année, les municipalités canadiennes font bien de commencer à chercher des solutions ailleurs.
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