Transition en douceur : passer du plafonnement des émissions à une taxe sur le carbone
par Dale Beugin, Blake Shaffer et Trevor Tombe
Les membres du Parti conservateur de l’Ontario ont voté à une forte majorité en faveur du remplacement de la Bourse du carbone de leur province par une taxe sur le carbone qui serait administrée par le gouvernement fédéral. Si ce parti prend le pouvoir en 2018 et qu’il donne suite à son projet, il faudra sérieusement se pencher sur les avantages et désavantages d’une telle transition. Pour lors, ce blogue se contentera de soulever une question technique: si l’Ontario effectue cette transition, pourra-t-il la faire en douceur? Réponse : il faudra surveiller des détails importants, mais le changement pourrait se faire plus facilement qu’on le croit.
Des décennies de recherche et un large consensus chez les analystes de politiques le confirment : la tarification du carbone est un moyen efficient de réduire les émissions de gaz à effet de serre. La Commission de l’écofiscalité, comme bien d’autres, a publié abondamment au sujet des avantages de cette tarification, aussi nous n’y reviendrons pas ici. Rappelons simplement qu’il existe plusieurs façons de taxer le carbone et qu’il est loisible à l’Ontario de passer d’une approche à une autre. Que faut-il prendre en considération, ce faisant? Y a-t-il moyen de le faire sans grand chambardement?
Commençons par un (très) bref retour aux rudiments.
Bourse du carbone vs taxe sur le carbone
Dans un système d’échange de droits d’émissions (comme les actuelles Bourses du carbone de l’Ontario et du Québec), les émissions totales annuelles de GES sont plafonnées, et les entreprises qui souhaitent émettre doivent se procurer des « permis de polluer ». Le nombre de ces permis correspond (à peu près) à la quantité d’émissions autorisées pour l’année, par conséquent on peut être assuré du niveau maximal des émissions cette année-là. Mais comme les permis sont vendus aux enchères, leur prix varie et demeure une inconnue.
Les choses sont différentes avec une taxe carbone. Dans ce cas-ci, pas de permis de polluer; les entreprises paient simplement une taxe sur le carburant qu’elles utilisent ou sur les GES qu’elles émettent. La taxe incite à modifier son comportement et à réduire ses émissions. Le prix en est connu. Mais au contraire de ce qui se passe avec les Bourses du carbone, il n’y a pas de certitude quant au niveau des émissions totales.
Les deux systèmes sont fondamentalement semblables. Mais l’un fixe la quantité d’émissions, tandis que l’autre fixe les prix.
La question de la compétitivité
Dans l’un et l’autre système, le fait de tarifer le carbone augmente les coûts de production des entreprises, particulièrement dans les secteurs à forte intensité d’émissions. Lorsqu’il s’agit de secteurs exposés à la concurrence internationale, il y a lieu de s’inquiéter de leur compétitivité par rapport aux régions où le carbone n’est pas tarifé. Pour faire face à ce genre de situation, les gouvernements disposent de plusieurs instruments, tant en régime de droits d’émission cessibles qu’en régime de taxe sur le carbone.
Dans le premier cas, le gouvernement peut offrir aux entreprises des permis d’émission gratuits. Les émissions continuent d’être plafonnées, mais les coûts des entreprises augmentent moins que si elles devaient payer tous leurs permis. Le coût de cette pratique n’est pas nul, car le gouvernement y perd des revenus. Par exemple, dans l’actuelle Bourse du carbone ontarienne, environ 1 G$ de droits d’émission seront distribués gratuitement.
Dans un système de taxation simple du carbone, comme en Colombie-Britannique, il n’y a pas de permis d’émission, et donc rien à distribuer gratuitement. Cela ne signifie pas que le gouvernement ne peut rien faire pour protéger la compétitivité des entreprises, car les recettes de la taxe carbone lui donnent les moyens d’intervenir, par exemple au moyen de subventions directes.
Le soutien peut aussi être indirect. Le gouvernement peut fixer un seuil d’émissions au-delà duquel les entreprises doivent payer la taxe carbone (disons 30 dollars la tonne) et en deça duquel elles conservent une marge de manœuvre. Cette marge de manœuvre peut être vendue à d’autres entreprises, exactement comme un quota d’émission dans une Bourse du carbone, ou bien revendue au gouvernement au prix de la taxe.
D’une certaine manière, ces seuils fonctionnent comme les permis distribués gratuitement dans un système de Bourse du carbone. La méthode retenue pour les allouer est importante. En Alberta, comme dans le nouveau système fédéral, on assignera les seuils en vertu de ce qu’on appelle l’allocation fondée sur la production (OBA, pour output-based allocation). Une entreprise qui produit deux fois plus qu’une autre se verra accorder un seuil d’émissions deux fois plus élevé. Sans entrer dans la poutine interne, disons que ça revient à accorder une subvention fixe à chaque unité produite par l’entreprise.
Transition en douceur?
Le Parti conservateur ontarien propose d’abandonner la Bourse du carbone en faveur du filet de sécurité fédéral, lequel consiste en une taxe carbone assortie d’allocations fondées sur la production pour les gros émetteurs. Il ne s’agirait pas d’un changement important en ce qui concerne la façon de soutenir les entreprises et de protéger leur compétitivité. Il s’agirait plutôt d’un changement mineur dans la façon d’accorder ce soutien et de l’administrer.
Y a-t-il moyen d’opérer cette transition de façon ordonnée? Nous envisageons trois options.
Option 1 : transition à retardement
Nul besoin de changer de système du jour au lendemain. Le gouvernement pourrait négocier avec Ottawa une phase de transition. Ou encore, il pourrait attendre que les permis actuels arrivent à échéance, puis mettre en œuvre le système d’allocations fondées sur la production. La première « période de conformité » du programme de plafonnement et d’échange de l’Ontario se termine le 31 décembre 2020. À cette date, toutes les entreprises doivent rendre leurs quotas d’émission et leurs autres crédits. Un gouvernement désireux d’abandonner la Bourse du carbone en faveur d’une taxe carbone pourrait choisir de le faire à cette date charnière.
Option 2 : accepter les quotas d’émissions actuels
Si un nouveau gouvernement veut procéder à la transition sans attendre, que faire des quotas d’émission déjà vendus pour la période de conformité 2017-2020?
La province pourrait accepter les quotas comme preuve de conformité pour leurs émissions. Les distributeurs de carburant seraient exemptés de la taxe carbone pour la valeur des « permis » qu’ils détiennent encore. De même, les gros émetteurs utiliseraient leurs permis restants pour couvrir leurs émissions qui dépassent en intensité la valeur de référence du système d’allocations OBA.
Une transition de ce type devrait être gérée avec doigté. L’adhésion au filet de sécurité fédéral fera (probablement) monter le prix du carbone, et en même temps la valeur des quotas d’émission. Une aubaine pour les actuels détenteurs de crédits, et une incitation à se procurer maintenant de tels crédits à des fins spéculatives. On pourrait contrer ce phénomène en rendant les quotas d’émissions « chronodégradables ». Par exemple, un quota d’une tonne de CO2e acheté une année où le carbone vaut 18 dollars la tonne ne serait bon que pour 0,6 tonnes de CO2e lorsque le prix du carbone serait passé à 30 dollars (18/30 = 0,6). L’institut Pembina a récemment proposé un tel système de « maturation » pour tenir compte de la variation du prix du carbone dans le régime albertain.
Option 3 : permettre la vente des quotas en Californie
Enfin, l’Ontario pourrait simplement permettre aux entreprises de revendre leurs quotas d’émissions sur le marché. À l’heure actuelle, dans les ventes aux enchères où se transigent les quotas ontariens, québécois et californiens, le cours avoisine le prix plancher. Les entreprises ontariennes pourraient donc trouver des acheteurs désireux de se procurer des quotas à ce prix-là.
Mais cette approche se révélerait problématique pour le Québec et la Californie. Une surabondance de droits d’émission supplémentaires risque d’y élever anormalement la quantité d’émissions de GES. Certes, le prix des droits d’émission est assujetti à un prix plancher, de sorte qu’on n’assisterait probablement pas à une explosion des émissions. Mais si les entreprises ontariennes vendent leurs quotas aux entreprises du Québec et de la Californie, les gouvernements de ces deux États se retrouveront avec moins de revenus.
Remarques finales
Comme pour toute réorientation de politique publique, le passage éventuel de la Bourse du carbone au filet de sécurité fédéral nécessitera une évaluation des avantages et des inconvénients.
L’actuel programme de plafonnement et d’échange, conçu par le gouvernement libéral ontarien, engendre peut-être davantage de réductions d’émissions à l’échelle globale (nord-américaine), grâce à ses cibles ambitieuses et au recyclage des recettes de la tarification dans le soutien aux technologies pauvres en carbone et à d’autres activités réductrices d’émissions. Mais le prix des quotas d’émission sera sans doute assez bas, puisque les émetteurs ontariens auront la possibilité d’en acheter à bas prix de la Californie.
Pour sa part, le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario propose un système où le prix du carbone sera plus élevé, ce qui produira des réductions d’émissions plus importantes en Ontario. Mais il ne sera plus possible de négocier des quotas d’émission avec la Californie (ou le Québec), et les recettes fiscales seront appliquées à des baisses d’impôt pour les ménages et les entreprises.
Cette discussion du pour et du contre doit avoir lieu – et elle aura lieu, lors de la campagne électorale de 2018! Mais ce sera un débat au sujet de deux options valables et crédibles. Notre but aujourd’hui n’était pas de trancher, mais de montrer qu’une transition en douceur d’un système à l’autre est tout à fait réalisable.
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