Le design des incitatifs : tarification du carbone et biocarburants au Canada
Le principe de la tarification du carbone repose en bonne partie sur le fait qu’elle crée un incitatif en faveur de solutions moins carbonées. Dans le cas du transport, la tarification devrait par exemple augmenter la cherté relative des combustibles fossiles, notamment les produits du pétrole, par rapport aux biocarburants et aux technologies émergentes pauvres en carbone. Est-ce le cas? Les quatre systèmes de tarification du carbone en vigueur au Canada envoient-ils un signal de prix favorable aux carburants à faible teneur en carbone?
Contre les politiques de soutien aux biocarburants
Le nouveau rapport publié cette semaine par la Commission de l’écofiscalité analyse les arguments économiques et environnementaux sur lesquels se fondent les politiques de soutien aux biocarburants. L’une de ses principales conclusions (scoop!) : soutenir les biocarburants est un moyen coûteux de réduire les émissions de GES, particulièrement quand on le compare à la tarification du carbone. Nous avons calculé que les réductions d’émissions obtenues par ces politiques de soutien sont au moins cinq fois plus coûteuses que la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique. Nous recommandons donc la fin des politiques de soutien aux biocarburants et la mise en œuvre de la tarification du carbone afin d’obtenir des réductions d’émissions à coût économique moindre.
Correctement conçue, la tarification du carbone peut créer une incitation par les prix claire en faveur des véhicules et des carburants à faibles émissions. Si, par exemple, une personne achète du carburant qui génère moitié moins d’émissions qu’un combustible fossile, alors elle devrait payer la moitié du prix carbone. En ce sens, opérer à l’intérieur d’un système de prix carbone enverrait un signal de prix puissant en faveur de la décarbonisation du secteur des transports.
Tous les signaux de prix ne naissent pas égaux
En dépit de l’aptitude de la tarification à générer de fortes incitations par les prix, il semble que les quatre politiques de tarification du carbone en vigueur au Canada pourraient être améliorées afin de mieux refléter les réductions d’émissions associées aux biocarburants. (Les données provinciales sur la gestion des biocarburants étant relativement pauvres, ce billet de blogue s’appuie sur les travaux de Biocarburants avancés Canada de même que sur certains échanges avec des gouvernements provinciaux.)
En Alberta et en Colombie-Britannique, la taxe carbone sur l’essence et le diesel a été (légèrement) abaissée pour refléter le fait que ces carburants contiennent déjà de l’éthanol et du biodiesel. Autrement dit, que vous achetiez de l’essence ordinaire ou de l’E85 (qui contient 85% d’éthanol), la taxe carbone sera la même. En fait, à cause de la puissance moindre de l’éthanol, les consommateurs d’E85 pourraient se retrouver à payer davantage, puisqu’il leur faut davantage de carburant pour parcourir une même distance. Les distributeurs peuvent recevoir une ristourne égale à la proportion de carburant à faibles émissions dans leurs produits. Le fonctionnement de cette ristourne et son effet sur les prix demeurent toutefois incertains.
Les choses sont également compliquées et incertaines dans le cas des systèmes de quotas d’émissions du Québec et de l’Ontario. Les carburants à base de biomasse sont exclus de l’un et l’autre système, de sorte que les biocarburants moins carbonés devraient normalement être moins chers que l’essence ordinaire. En pratique, toutefois, la recherche indique que toutes les essences — peu importe la proportion de biocarburant dans le mélange — sont au même prix.
Les tarifs doivent être visibles
Refléter dans le prix la réduction des émissions attribuable aux biocarburants, c’est bien, mais il est d’une importance capitale que la tarification soit bien visible. Pour faire des choix éclairés, les consommateurs doivent pouvoir voir la différence de contenu carbone d’un carburant à l’autre. Si un mélange essence-éthanol produit moins d’émissions que l’essence ordinaire, ils devraient constater une différence de prix à la pompe. Or, pour le moment, l’effet de la tarification sur les carburants peu carbonés comparativement aux produits du pétrole n’est pas clairement discernable.
Le juste prix
Malgré ces problèmes, la bonne nouvelle est qu’au prix de quelques ajustements il est possible d’améliorer tous ces systèmes de tarification du carbone de manière à ce qu’ils tiennent compte de l’intensité de carbone de chaque carburant. Cela permettrait aux carburants de jouer à armes égales en fonction de leur aptitude à réduire les émissions de GES.
Biocarburants avancés Canada propose une solution en trois étapes. Au début, les carburants fossiles paieraient le plein montant de la taxe carbone, sans tenir compte de leur contenu en biocarburant. Dans un deuxième temps, les carburants à faibles émissions paieraient une taxe carbone tenant compte de leur densité d’énergie et de leur intensité de carbone sur le cycle de vie complet, par comparaison avec les carburants fossiles. Enfin, les gouvernements emploieraient un outil rigoureux pour estimer les émissions sur le cycle de vie de chaque type de carburant.
Amener le Canada à la tarification du carbone de cette manière ne se fera pas en criant ciseau. Surtout, cela requerra des données exactes et fiables concernant les émissions sur le cycle de vie de chaque type de carburant. Alors, seulement, le prix de chacun reflétera fidèlement son contenu carbone.
Meilleure la conception, meilleur l’incitatif
Bien que les systèmes de tarification du carbone en vigueur au Canada tentent de refléter l’intensité de carbone plus faible des biocarburants (taux abaissés pour l’essence et le diesel en Alberta et en Colombie-Britannique, exemption pour les biocarburants au Québec et en Ontario), l’incitation par les prix en faveur des carburants à faibles émissions (si elle existe) n’est ni claire ni visible.
On tient peut-être pour acquis que la tarification du carbone modifie automatiquement le prix des carburants en fonction de leur contenu carbone. Mais dans les faits, il faut s’en assurer dès l’étape de la conception. Au fur et à mesure que les technologies des carburants amèneront de nouveaux produits sur le marché, il deviendra crucial pour l’effort de décarbonisation des transports que les consommateurs disposent d’une information claire sur le prix de chaque carburant en fonction de son empreinte carbone.
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