Redevances d’utilisation pour les eaux de ruissellement : contrer les risques d’inondation – et les déficits municipaux
Le dernier rapport de la Commission de l’écofiscalité a montré comment l’imposition de redevances bien conçues pour l’utilisation de l’eau et des égouts municipaux favorise la conservation de la ressource, génère des revenus et améliore la qualité de l’eau potable. Ce rapport laissait volontairement de côté ce qui constitue en fait le troisième pilier des systèmes de gestion de l’eau des municipalités : les services relatifs aux eaux de ruissellement. Je comble aujourd’hui cette lacune en montrant l’intérêt des redevances d’utilisation pour réduire le risque d’inondation et améliorer les résultats financiers des municipalités. Et j’illustre d’un exemple concret : la nouvelle redevance d’utilisation sur les eaux de ruissellement de la Ville de Victoria.
Que d’eau, que d’eau!
Nos villes seraient de véritables bourbiers si ce n’étaient les systèmes de gestion des eaux pluviales. La pluie et la neige fondante qui s’accumulent au sol ruissellent vers des collecteurs souterrains et se dispersent dans un réseau de tuyaux, de ponceaux, de bassins et d’autres éléments d’infrastructure verte qui agissent comme des éponges naturelles. Ces systèmes sont notre première ligne de défense contre les inondations urbaines, un péril qui grandit à mesure que les villes se densifient et qu’elles se couvrent d’asphalte et de béton. Ils améliorent aussi la qualité des eaux de ruissellement, lesquelles peuvent présenter un risque pour la santé et la sécurité des résidents.
Or, à l’instar des autres infrastructures municipales au pays, les systèmes de gestion des eaux de ruissellement sont vieillissants et nécessiteront des investissements importants au cours des prochaines décennies. Dans ce secteur, selon une estimation, le déficit de financement des infrastructures en mauvais ou très mauvais état en 2016 s’élève à 10 G$ au Canada.
Il s’agit probablement d’une évaluation prudente. Elle n’inclut pas les coûts futurs, en particulier pour les communautés en expansion, qui requerront davantage d’infrastructures coûteuses. Le calcul ne tient pas compte non plus des travaux qui seront nécessaires pour atténuer l’impact des inondations plus graves et plus fréquentes qui résulteront des changements climatiques.
S’adapter à ces nouvelles réalités coûtera cher. Mais à défaut d’infrastructures adéquates, il faudra payer encore plus cher. Les inondations à Calgary et à Toronto ont causé ces dernières années pour 7 G$ de dommages, essentiellement à cause de l’inondation des sous-sols des maisons. Les inondations font aussi en sorte que des eaux de ruissellement et d’égout non traitées se retrouvent en plus grande quantité dans les rivières, ou pire, que les eaux d’égout se mêlent aux eaux pluviales en plein cœur de nos villes.
Ruisseaux d’argent
Comment les municipalités peuvent-elles se doter d’infrastructures de gestion des eaux pluviales pour minimiser les risques (et les coûts) d’inondation sans se ruiner? La réponse se trouve sans doute dans la manière de payer ces services.
La plupart des Canadiens paient les infrastructures en question comme la plupart des autres services municipaux (entretien des rues, déneigement), c’est-à-dire via leurs taxes foncières. Ce modèle de financement comporte toutefois des désavantages. Le montant des taxes perçues n’a pas de rapport direct avec le volume d’eau de ruissellement attribuable à chaque propriété. Celles qui en causent peu finissent par subventionner celles qui en produisent beaucoup : stationnements commerciaux, grandes allées privées, etc.
En comptant uniquement sur les taxes foncières, on risque aussi d’accentuer les problèmes de sous-financement. Les dépenses d’infrastructures entrent en concurrence avec les autres postes de dépense municipaux; il devient alors difficile d’assurer un financement stable et suffisant.
Un peu partout en Amérique du Nord, des municipalités choisissent plutôt d’adopter des redevances d’utilisation pour la gestion des eaux pluviales. Dans ce modèle de financement des infrastructures, les résidents paient une redevance basée en partie sur le volume de ruissellement attribuable à leur propriété. On mesure généralement l’« utilisation » du service à l’étendue des surfaces imperméables. Ce faisant, on incite de façon constante les propriétaires à réduire leurs eaux de ruissellement, ce qui réduit les risques d’inondation. Les redevances génèrent en outre des revenus prévisibles; les municipalités peuvent donc planifier et financer les infrastructures essentielles.
Les avantages des redevances pour la gestion des eaux de ruissellement sont bien visibles à Victoria, à la pointe sud de la pluvieuse île de Vancouver.
Redevances sur la « wet coast »
Ce sont les taxes foncières qui finançaient jadis les services de gestion des eaux pluviales à Victoria. Comme ailleurs, la ville faisait face à un déficit d’infrastructures considérable. Le plan-cadre des immobilisations de 2014 prévoyait des investissements majeurs pour le renouvellement des infrastructures, mais aucune méthode de financement claire. Et la capitale britanno-colombienne s’attendait à ce que les changements climatiques augmentent le risque d’inondation dans un avenir rapproché.
La Ville a donc pris le taureau par les cornes et remplacé en 2016 son modèle de financement par une redevance d’utilisation sur les eaux de ruissellement. Elle a créé en même temps un service public distinct voué exclusivement à la planification, au financement et à l’exploitation du système de gestion de ces eaux.
La redevance victorienne est calculée au moyen de plusieurs critères, comme le montre l’illustration ci-dessus. En général, on fait entrer en ligne de compte la surface imperméable de la propriété, les services de nettoyage des rues et le type de construction. Certaines propriétés dotées de grands parkings paient un montant fixe supplémentaire pour aider à « laver » les eaux de ruissellement avant qu’elles quittent le terrain. Et un programme de récompenses vient soutenir ceux qui installent chez eux des dispositifs de gestion des eaux pluviales, comme des citernes d’eau de pluie et des jardins inondables.
Les secrets de Victoria
La redevance d’utilisation sur les eaux de ruissellement de Victoria est encore jeune, mais on peut déjà en tirer quelques leçons.
La réduction des risques. La partie de la redevance qui varie en fonction de la surface imperméable est un incitatif constant à réduire ses eaux de ruissellement. Le programme de récompenses rend les améliorations en ce sens encore plus intéressantes pour les propriétaires. Avec le temps, ces mesures incitatives devraient réduire les risques d’inondation, tant pour les propriétaires que pour la municipalité dans son ensemble.
L’efficience. La redevance d’utilisation de Victoria fait payer davantage ceux qui utilisent davantage le système, ce qui en accroît l’efficience. Dit autrement, la Ville réduit les risques d’inondation à coût moindre : le coût net pour le propriétaire moyen devrait être nul, grâce à une réduction proportionnelle des taxes foncières. Selon les fonctionnaires municipaux, cette caractéristique a joué un rôle important dans l’acceptation du projet.
La stabilité des revenus. En créant une entité distincte pour la gestion des eaux pluviales, on dote le système de revenus stables et prévisibles. C’est notamment le cas avec la partie fixe de la redevance d’utilisation. Même si les revenus provenant de la partie variable déclinent par suite des améliorations des propriétaires, les revenus de la partie fixe assureront une stabilité aux revenus.
Le timing. Le passage au régime de la redevance d’utilisation s’est fait graduellement. Le conseil municipal a commandé une étude en 2009 et a endossé officiellement l’idée en 2011. Les fonctionnaires ont alors effectué recherches et analyses, jusqu’à la rédaction et adoption du règlement cadre en 2014. La mise en œuvre de la redevance a ensuite été repoussée à 2016, afin qu’on puisse s’assurer que la Ville (et les résidents) étaient bien préparés au changement.
L’implémentation. L’entrée en vigueur de la redevance n’a rencontré que peu d’opposition. La Ville a sollicité activement les réactions du public et fait un effort concerté pour faire valoir la justesse et l’équité de la redevance : les propriétés qui génèrent moins d’eau de ruissellement devraient payer moins.
Des leçons pour tous
Déjà plus de 20 municipalités canadiennes sont passées aux redevances d’utilisation sur les eaux de ruissellement, et davantage s’apprêtent à le faire. Si elles sont bien conçues, ces redevances réduisent les risques d’inondation et minimisent les coûts pour les contribuables. Elles sont également flexibles et peuvent être mises en œuvre de différentes façons, avec des degrés de complexité variables, pour correspondre au contexte unique de chaque municipalité.
Même si les eaux de ruissellement ont été exclues de notre rapport sur les services municipaux d’approvisionnement et de traitement de l’eau, les redevances d’utilisation qui les concernent sont un outil essentiel et de plus en plus populaire dans le coffre à outil des villes du pays.
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