La Norme fédérale sur les carburants propres et les interactions de politiques : le problème de l’équité interprovinciale
Depuis la publication de notre rapport sur les politiques climatiques complémentaires, nous avons beaucoup écrit au sujet des interactions de politiques et de leurs conséquences en termes d’efficacité et d’efficience (par exemple ici et là). Ce dont nous n’avions pas encore discuté, ce sont les effets des interactions de politiques sur le fédéralisme canadien.
Les interactions entre les régimes provinciaux de tarification du carbone et les politiques fédérales de type non tarifaire peuvent avoir des effets différents d’une province à l’autre. Ce qui soulève la délicate question de l’équité interprovinciale : comment s’y prendre pour s’assurer que celle-ci sera respectée? Je prendrai comme exemple le cas concret – et tout à fait actuel – de la Norme sur les carburants propres (NCP) du gouvernement fédéral.
Des émissions populaires
La NCP est encore en gestation – on l’attend pour 2019. Ce sera une politique d’application générale, qui imposera une réduction globale de l’intensité en carbone, sur leur cycle de vie, de tous les carburants du secteur des transports, de l’industrie et du bâtiment. Son ambition est de réduire les émissions annuelles de GES de 30 mégatonnes par année d’ici 2030, ce qui en ferait l’un des principaux éléments de la lutte du fédéral contre ces émissions. À noter que ces réductions sont des réductions supplémentaires; elles doivent s’ajouter à celles que l’on obtient grâce aux autres politiques.
Or les émissions concernées par la NCP recoupent celles auxquelles s’attaquent déjà les politiques climatiques provinciales. Surtout, elles recoupent celles qui sont couvertes par la tarification du carbone. D’où un problème d’interactions de politiques. Il vaut donc la peine de d’observer d’un peu plus près ces chevauchements.
Des impacts inégaux
Dans les provinces qui possèdent une taxe sur le carbone, la Norme sur les carburants propres va entraîner des réductions d’émissions supplémentaires. En effet, une taxe sur le carbone n’impose pas une quantité déterminée de réductions. Par conséquent, toutes les réductions d’émissions qu’apportera la NCP se rajouteront à celles obtenues par la taxe sur le carbone. La NCP générera des réductions supplémentaires, avec des coûts supplémentaires. Jusqu’ici, tout va bien.
Mais c’est le contraire qui se produira dans les provinces qui, comme le Québec et l’Ontario, possèdent un mécanisme d’échange de droits d’émissions (Bourse du carbone). Dans leur cas, la NCP n’engendrera pas de réductions d’émissions supplémentaires. Leurs plafonds d’émissions sont fixes pour chaque année. Ce qui veut dire que toute réduction obtenue au moyen de la NCP n’aura pas à être réalisée ailleurs dans l’économie. La NCP se trouvera à remplacer les réductions d’émissions qu’on aurait obtenues avec la seule Bourse du carbone.
On se retrouve donc devant un problème de partage du fardeau. La NCP va engendrer des réductions d’émissions supplémentaires. Mais ces réductions viendront toutes des provinces qui possèdent une taxe sur le carbone, et pas des provinces où l’on échange des droits d’émissions. D’autres politiques non tarifaires interagissant avec la tarification du carbone risquent d’avoir des conséquences similaires.
Un problème bien canadien
Ce problème lié au fédéralisme canadien mérite un examen attentif. Le respect de l’équité entre les provinces est essentiel à une politique climatique vigoureuse et durable. Jusqu’à présent, ces questions sont passées sous le radar. Le document de travail préliminaire de la NCP, par exemple, est muet au sujet des effets des interactions sur l’équité interprovinciale.
On ne sait pas non plus si le gouvernement fédéral a pris en compte ces interactions dans son calcul de l’objectif de 30 Mt de réductions d’ici 2030. Si la nouvelle politique n’engendre pas de réductions d’émissions supplémentaires dans les provinces où l’on échange des droits d’émissions, alors soit la cible de 30 Mt sera beaucoup plus difficile à atteindre, soit le fardeau sur les provinces où l’on taxe le carbone sera alourdi. Ni l’une ni l’autre de ces deux issues n’est vraiment souhaitable.
Question sensible, doigté requis
Que peuvent les gouvernements pour résoudre cette épineuse question? Une possibilité serait d’ajuster les plafonds d’émissions. Cela nécessiterait que les provinces qui participent à une Bourse du carbone abaissent leurs plafonds de manière à refléter les réductions d’émissions obtenues grâce à la NCP (ou à toute autre politique non tarifaire). C’est peut-être le meilleur moyen d’assurer la paix interprovinciale, même si cela pose certains défis techniques et politiques.
Sinon, Ottawa pourrait choisir de moins s’appuyer sur la NCP en cherchant plutôt à renforcer la tarification du carbone – mais il y a des obstacles politiques là aussi.
Quoi qu’il en soit, avant de peser le pour et le contre des diverses solutions, la première chose à faire est de reconnaître l’existence du problème. Heureusement, il est encore temps de modifier la conception et l’implémentation de la Norme sur les carburants propres et des autres politiques climatiques fédérales.
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