Les interactions dangereuses? La tarification du carbone et les normes de carburants
En 2018, le Canada entier vivra sous un régime de tarif carbone unique. Il est donc temps de réfléchir aux interactions possibles entre cette tarification et les autres politiques climatiques en vigueur au pays. Dans son plus récent rapport, la Commission de l’écofiscalité montre que certaines politiques peuvent venir appuyer la tarification du carbone dans son travail de réduction des émissions au moindre coût… mais que d’autres politiques sont susceptibles de la contrecarrer. Dans ce billet, j’explore un aspect de notre cadre d’analyse en ce qui concerne la complémentarité des politiques climatiques : les interactions.
Moins que la somme des parties?
Les gouvernements ont adopté au fil des ans une batterie de politiques non tarifaires en vue de réduire les émissions de GES. Dans quelle mesure ces politiques demeurent pertinentes en présence d’une taxe nationale sur le carbone? Produisent-elles des réductions d’émissions supplémentaires? La réponse varie, pour une bonne part, selon qu’elles se surajoutent à une taxe sur le carbone ou à un mécanisme d’échange de droits d’émissions.
Pour illustrer mon propos, j’examine les interactions entre la tarification du carbone et une autre politique : les normes de carburants à faible teneur en carbone (LCFS). De telles normes obligent les distributeurs de carburant à réduire progressivement la teneur moyenne en carbone de leurs produits. Ils y parviennent en vendant des biocarburants, de l’électricité ou tout autre carburant possédant une empreinte carbone plus petite que les combustibles fossiles. Les crédits de conformité sont négociables, ce qui aide à réduire le coût d’ensemble de la politique.
J’étudie ces interactions dans trois situations géographiques et réglementaires différentes.
Normes de carburants et taxe sur le carbone
En général, les politiques qui se surajoutent à la tarification du carbone engendrent des réductions d’émissions supplémentaires. Elles créent en effet de nouveaux incitatifs qui vont au-delà de la taxe sur le carbone. Mais ces réductions ont un coût. Et ce coût peut être supérieur ou inférieur aux réductions produites par la taxe sur le carbone. Tout dépend de la façon dont la politique est conçue et appliquée.
La Colombie-Britannique a instauré des normes de carburants à faible teneur en carbone en 2010, en plus de sa taxe sur le carbone. Les deux politiques se chevauchent, en ce sens qu’elles visent toutes les deux les émissions causées par le secteur des transports. Dans l’ensemble, les normes de carburants ont réussi à engendrer des réductions d’émissions supplémentaires. Wolinetz et Axsen, par exemple, ont conclu que ces normes (couplées à des mandats pour carburants renouvelables) ont réduit les émissions annuelles de la province d’environ 1 Mt en 2012, soit 1 ou 2 pour cent des émissions totales.
Ces réductions ont toutefois coûté très cher : jusqu’à 172 dollars par tonne, si l’on se fie au cours récent des crédits de conformité. C’est beaucoup plus que les 30 dollars par tonne de la taxe sur le carbone. Mais si ce coût est relativement élevé, il est indépendant de la taxe sur le carbone.
Normes de carburants et Bourses du carbone
Les politiques introduites en complément d’un système d’échange de droits d’émissions, en revanche, n’engendrent pas en général de réductions d’émissions supplémentaires. Il est possible qu’elles soient efficaces dans un secteur en particulier, mais le nombre total de droits d’émissions demeurera le même. Par conséquent, les réductions d’émissions obtenues grâce à des politiques supplémentaires sont annulées par des émissions plus importantes ailleurs dans le système.
(Parenthèse pour les spécialistes : si les droits d’émission se vendent au prix plancher, cela indique qu’il y en a trop en circulation et que le plafond d’émissions n’est pas contraignant. Dans ce cas, les réductions d’émissions obtenues grâce à des politiques complémentaires peuvent avoir un effet cumulatif.)
Les normes de carburants à faible teneur en carbone de la Californie sont semblables à celles de la Colombie-Britannique et s’ajoutent à la tarification du carbone. La différence, c’est qu’en Californie cette tarification prend la forme d’un système de Bourse du carbone.
Les normes de carburants californiennes ont été responsables d’une réduction d’émissions d’environ 2 Mt par année entre 2011 et 2015. Mais contrairement à ce qui était le cas en Colombie-Britannique, il ne s’agit pas d’une mitigation supplémentaire. Celle-ci n’a fait que déplacer la mitigation qui se serait autrement produite à l’intérieur du système d’échange de droits d’émissions.
Cela signifie en outre que la combinaison des politiques a engendré un coût supérieur. Elle a réalisé le même niveau de réductions d’émissions que ne l’aurait fait la Bourse du carbone seule, mais le prix des crédits de conformité négociables suggère que ces réductions ont coûté beaucoup plus cher. Les crédits pour les normes de carburants se négociaient en effet 62 dollars la tonne en 2015, soit plus de quatre fois le prix des permis d’émissions à la Bourse du carbone.
Normes de carburants et Bourses du carbone interreliées
Les interactions entre politiques climatiques sont encore plus difficiles à suivre lorsqu’un système de Bourse du carbone est relié à un système extérieur et que les entités s’échangent des crédits. Ainsi, le système d’échange de droits d’émissions du Québec est relié à celui de la Californie, et l’Ontario les rejoindra en 2018.
Si le plafond d’émissions est contraignant, les politiques additionnelles s’appliquant aux émissions déjà couvertes par le système ne produisent pas de réductions d’émissions supplémentaires. C’est le même résultat que dans le précédent cas de figure.
Mais comme les systèmes sont interreliés, l’introduction d’une politique complémentaire dans une des entités modifie le flux des droits d’émissions. Dans cette entité, la demande pour les droits d’émissions baissera. Si l’entité en question est importatrice nette de droits d’émissions, ses importations diminueront. Si elle est exportatrice de droits d’émissions, ses exportations augmenteront. Cette activité modifie également les flux financiers : pour les importateurs nets, les transferts financiers vers l’entité exportatrice diminueront; pour les exportateurs nets, les transferts financiers reçus de l’importateur augmenteront.
Dans un cas comme dans l’autre, la réduction totale des émissions de GES dans l’ensemble du système intégré reste inchangée, mais la répartition géographique des émissions a changé. Et le coût global de la mitigation a possiblement augmenté. La raison en est que les politiques complémentaires modifient les actions de mitigation en faveur de réductions plus coûteuses que celles obtenues au moyen du tarif carbone.
Prenons par exemple les mandats pour carburants flexibles (semblables aux normes de carburants à faible teneur en carbone) que l’Ontario se propose d’introduire. Sous le régime de la Bourse du carbone interreliée, l’Ontario deviendra probablement importatrice nette de droits d’émissions californiens. L’effet escompté sera donc : davantage de réductions d’émissions en Ontario, et moins en Californie, mais le même niveau de réductions d’émissions globalement. En termes économiques, l’effet sera : des réductions plus coûteuses dans l’ensemble du système, et plus coûteuses aussi pour l’Ontario. Mais cela signifiera également des flux financiers moindres de l’Ontario vers la Californie.
Zoom-out
On peut facilement attraper le tournis lorsqu’on tente de démêler les interactions entre la tarification du carbone et d’autres politiques climatiques non tarifaires. Ici, nous n’avons fait qu’étudier l’interaction dominante avec une seule autre politique. Comprendre les interactions de la tarification du carbone avec l’ensemble des autres politiques climatiques est beaucoup plus complexe. La Commission de l’écofiscalité a voulu lancer la réflexion en établissant un cadre d’analyse pour l’étude de ces interactions.
Bien que les analyses de ce type soient complexes, elles sont nécessaires pour évaluer l’efficacité et l’efficience de nos politiques climatiques. À l’heure où le Canada s’engage dans la tarification du carbone à l’échelle nationale, nous devons adopter des politiques qui complètent réellement la tarification, et nous débarrasser de celles qui n’apportent rien. Les bonnes politiques complémentaires sont celles qui produiront davantage de réductions d’émissions à un coût moindre que ne le ferait la tarification seule. Et ces politiques joueront un rôle crucial pour permettre au Canada de remplir ses obligations en matière de changements climatiques.
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