Défense et illustration de l’efficience
Nous, de la Commission de l’écofiscalité, avons un souci du coût des politiques publiques qui est un peu notre carte de visite. Oui, nous voulons que les politiques environnementales soient efficaces – mesurer à quel point elles réduisent la pollution et les atteintes à l’environnement. Mais le groupe d’économistes qui compose la Commission se préoccupe aussi – beaucoup – de l’efficience : dans quelle mesure ces politiques atteignent leurs objectifs au moindre coût. Aujourd’hui, je veux décortiquer le second de ces deux critères, l’efficience. Devrions-nous nous préoccuper des coûts? Dans quelles situations devrions-nous sacrifier ce critère? Existe-t-il vraiment des politiques qui soient à la fois efficaces et efficientes?
Pour rédiger ce billet, je m’inspire de mes conversations avec certains de mes amis environnementalistes. Je connais en effet beaucoup de personnes intelligentes et innovantes qui se passionnent pour l’environnement. Quelques-un.e.s travaillent dans des ONG environnementales. Ils et elles revendiquent donc des politiques visant à protéger l’environnement. Leur rôle est crucial : faire en sorte que l’environnement ait une « voix » à la table où l’on élabore les politiques. Les résultats environnementaux ont incontestablement leur importance, aussi bien en termes de coûts économiques que de santé et de bien-être humains.
Mais parfois j’ai l’impression que ces environnementalistes s’intéressent exclusivement aux résultats environnementaux. L’efficience – l’efficacité par rapport aux coûts – arrive beaucoup plus bas dans la liste de leurs priorités. Militants passionnés, ils disent des choses comme « Si c’est ce que ça coûte pour protéger le climat, alors c’est ce qu’il faut payer ». Ils vous diront que de toute façon l’industrie exagère toujours les coûts, alors pas besoin de s’en faire pour elle. Certains arguent qu’il est plus facile pour un gouvernement d’adopter des politiques qui coûtent cher. Et puis les autres secteurs économiques ne bénéficient-ils pas de politiques taillées sur mesures pour eux? Alors pourquoi pas le climat?
Mais voici mon hypothèse : nous avons davantage de chances d’obtenir des politiques efficaces qui vont durer – et donc produire de meilleurs résultats environnementaux – si ces politiques sont aussi conçues pour minimiser les coûts. Les coûts, ça compte, pour des raisons évidentes, et pour quelques autres en plus…
Coûts et conséquences
Je sais que l’« efficacité par rapport aux coûts » peut sembler quelque chose d’abstrait. Des « coûts » pour qui? Selon quelle échelle? Pourtant, le fait de réduire au minimum le coût des politiques a des conséquences réelles, concrètes, sur les personnes.
Plaçons-nous pour commencer du point de vue d’une entreprise. Imaginons une norme environnementale relativement stricte, du genre décret gouvernemental; par exemple, un mandat obligeant le gros émetteurs de GES à améliorer de 25 % leur rendement énergétique. Ce genre de politique entraînerait des réductions globales d’émissions significatives. Certaines entreprises, comme celles qui s’apprêtaient à remplacer leur équipement vieillissant, feraient facilement le saut. Mais pour d’autres – comme celles qui possèdent de l’équipement récent, déjà plus efficace –, les coûts seraient exorbitants. Ces coûts ont des conséquences. Ils signifient qu’une entreprise ne prendra pas d’expansion, qu’elle n’embauchera pas ou qu’elle n’investira pas dans la recherche et le développement; trop risqué. Peut-être qu’elle n’augmentera pas les salaires cette année-là. Dans le pire des scénarios, l’entreprise connaîtra une contraction nette de ses activités et de sa main-d’œuvre; les employés licenciés devront trouver des revenus ailleurs.
On peut aussi aborder le problème sous l’angle des coûts pour le gouvernement. Par exemple, de 2012 à 2015, Ottawa et les provinces ont financé le secteur des biocarburants à hauteur de 765 M$. Les subventions gouvernementales peuvent sembler éloignées de nos préoccupations quotidiennes, mais elles ont des implications réelles. Dépenser cet argent pour les biocarburants signifie qu’il ne peut pas l’être pour autre chose, que ce soit un programme social ou le remboursement de la dette, voire une baisse d’impôts.
Plaçons-nous maintenant du point de vue macroéconomique. Des politiques moins coûteuses permettent une allocation plus efficace du capital et de la main-d’œuvre. D’où une croissance économique plus forte, des revenus supérieurs et davantage d’emplois. Bien entendu, une croissance plus forte ne garantit pas que chacun recevra une part égale du gâteau; mais le gâteau sera plus gros. La croissance n’est pas une condition suffisante de l’amélioration du bien-être, mais elle la rend certainement possible.
Penser « économie » n’est pas mauvais pour l’environnement (non plus)
Je ne veux pas dire que tous les coûts soient inacceptables. Les coûts d’une politique doivent être mis en regard de ses bénéfices. Pour commencer, les politiques environnementales efficaces engendrent des avantages économiques. Réduire la pollution atmosphérique améliore la santé des citoyens, notamment celle des enfants et des personnes âgées. Protéger la pureté de l’eau est bon pour la santé, pour les activités récréatives et pour l’industrie. Réduire les émissions de GES contribue à la lutte planétaire contre des changements climatiques ruineux. Or, fait crucial, les politiques les mieux pensées atteignent ces résultats à un coût moindre. Elles obtiennent plus de bénéfices pour moins d’argent. Voilà ce qu’est l’efficience.
On a beaucoup répété qu’il ne fallait pas opposer environnement et économie : protéger l’environnement est essentiel à notre économie. Cela dit, le fait de s’en remettre trop souvent à des politiques inutilement coûteuses a pour effet de creuser de nouveau un écart entre les deux champs. Cela ouvre une fenêtre d’opportunité à ceux qui présentent (faussement) les gains environnementaux comme des pertes économiques. Les politiques environnementales intelligentes et efficientes ne sont pas des « tueuses de jobs ». Plus elles seront efficientes, plus ces arguments éculés sonneront creux. En d’autres mots, la prospérité environnementale et la prospérité économique peuvent se renforcer mutuellement si les politiques sont bien conçues.
Voilà pourquoi, à long terme, les politiques inefficientes sont dangereuses. Elles fragilisent le soutien populaire aux politiques environnementales, en général comme en particulier. Prenons les tarifs de rachat garantis (TRG), un programme ontarien censé encourager le passage à l’électricité renouvelable. Ses objectifs étaient admirables. Mais il a coûté cher. Nombre de bénéficiaires ont reçu davantage de subventions qu’il n’en fallait pour les convaincre d’installer des panneaux solaires. Résultat? Beaucoup de grogne! Et des effets négatifs qui débordent de beaucoup la question de l’électricité renouvelable en Ontario. Les politiques coûteuses de cette province ont en effet nourri l’opposition aux projets (pourtant conçus de manière beaucoup plus efficiente) en faveur des énergies renouvelables en Alberta. Les insuccès de la Loi sur l’énergie verte ontarienne de 2009 ont même réussi à générer du scepticisme envers la tarification du carbone, qui est pourtant la plus efficiente des politiques disponibles.
Et politiquement, c’est correct?
Il n’y a pas que l’économie dans la vie. Certain.e.s, en lisant ce billet, voudront objecter qu’il existe des raisons pouvant justifier l’application de politiques plus coûteuses. Politiquement parlant, on peut avancer que les TRG ontariens, par exemple, sont très utiles pour développer de nouveaux appuis et groupes d’intérêts favorables aux politiques de décarbonisation. Ces politiques peuvent ouvrir des espaces politiques permettant d’accueillir d’autres politiques plus efficientes par la suite.
Et c’est vrai. Les décideurs politiques ne devraient pas retenir l’efficience comme unique critère, pas davantage qu’ils ne devraient se fonder sur la seule efficacité environnementale. D’autres facteurs entrent clairement en ligne de compte, comme la faisabilité politique. Notre message est que l’efficience est importante, pas qu’elle éclipse toutes les autres dimensions.
Malgré tout, comme nous sommes un groupe d’économistes, nous allons continuer de faire ce que nous faisons de mieux et nous focaliser sur l’efficience des politiques publiques. Restez à l’écoute : un nouveau rapport de la Commission arrive ce printemps; il porte sur la manière de reconnaître et de concevoir des politiques efficientes, en complément de la tarification du carbone, afin de réduire les émissions de GES.
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