Sur la route du changement : la tarification du carbone et les transports
Les systèmes de transport nord-américains ont été conçus en fonction de combustibles fossiles abondants et bon marché, et nos habitudes ont été modelées en conséquence. Contrairement aux autres secteurs de l’économie, qui tous offrent des solutions de remplacement pauvres en carbone, nos déplacements reposent encore de façon prédominante sur les combustibles fossiles. Soyons honnêtes, certains d’entre nous doivent conduire pour vivre et n’ont pas beaucoup d’autres options. Jusqu’à quel point la tarification du carbone va-t-elle les (et nous) amener à réduire la consommation d’essence et les émissions de GES? La réponse est à la fois simple et un peu compliquée. Désolé! (En fait, non, pas désolé.)
La tarification du carbone change notre perception des différents moyens de transport
Chaque jour, les Canadiens prennent une multitude de décisions relatives à leurs déplacements. Nous décidons comment faire nos courses, comment nous rendre au travail ou alors chez le prochain client. La plupart d’entre nous utilisons des voitures et des camions alimentés par des carburants fossiles pour au moins une partie de ces déplacements. Un plus petit nombre a recours à des solutions moins carbonées : véhicule électrique, transport en commun, vélo, covoiturage, autopartage ou marche.
La tarification du carbone – que ce soit par une taxe directe ou par un système d’échange de droits d’émissions – modifie le prix relatif de chacune de ces options. Les modes de transport riches en carbone deviennent soudainement plus chers, ce qui rend les solutions à faible teneur en carbone plus attrayantes. Plus le prix du carbone est élevé, plus l’incitation à choisir une option pauvre en carbone est forte.
Les automobilistes réagissent aux changements de prix, mais à quel point?
On connaît tous la théorie de l’offre et de la demande. En pratique, si l’on veut savoir comment la demande va réagir à un changement de prix, il faut aussi se poser la question de l’élasticité de la demande. Si les gens réagissent à une hausse du prix de l’essence en modifiant radicalement leur comportement en faveur de solutions faibles en carbone, on dira que la demande est élastique. Si au contraire l’augmentation du prix de l’essence ne fait pratiquement pas baisser les ventes, c’est que la demande est inélastique.
Plusieurs facteurs déterminent dans quelle mesure les automobilistes répondent aux variations de prix. Mais en général, on constate qu’ils finissent par ajuster leurs comportements, surtout si on les observe sur la longue durée.
La plupart des études montrent que notre réponse à une variation du prix de l’essence est faible à court terme (changer de véhicule serait une réponse à long terme). Par exemple, des recherches menées par l’Agence américaine d’information sur l’énergie et par l’OCDE estiment que la demande d’essence et de diesel ne change pratiquement pas lorsque le prix de ces carburants augmente : une essence 10 pour cent plus cher entraîne une baisse de consommation d’à peine 0,2 à 0,4 pour cent. Ce qui voudrait dire qu’une augmentation de 25 à 50 pour cent du prix de l’essence serait nécessaire pour obtenir une réduction de 1 pour cent de la consommation.
Pourtant, de nouvelles données en provenance de Terre-Neuve-et-Labrador suggèrent que les gens réagissent davantage que cela aux variations du prix de l’essence. Dans cette province, Nic Rivers, économiste à l’Université d’Ottawa, a évalué l’impact de la décision du gouvernement de doubler la taxe sur l’essence pour combattre la forte croissance de son déficit budgétaire. Rivers a constaté que l’augmentation du prix de l’essence de 19 pour cent s’était traduite, au bout de trois mois, par une baisse des ventes de 10 pour cent. Ce qui signifie qu’une hausse du prix de 10 pour cent a permis une baisse de 5 pour cent de la demande.
Les prix modifient les comportements, à long terme surtout
Bien que notre réaction à l’enchérissement de l’essence puisse être assez timide à court terme, à long terme nos choix relatifs aux transports sont plus flexibles. Avec le temps, la tarification du carbone et l’essence plus chère incitent les gens à réfléchir dans la longue durée. Je n’achète pas une nouvelle voiture tous les jours, mais quand je le fais, cela a des conséquences importantes sur mes émissions de GES; idem pour le lieu où je décide d’habiter par rapport au temps que mets chaque jour pour me rendre au travail. Or, nous avons désormais un plus grand nombre d’options accessibles : véhicules à faibles émissions, voitures hybrides ou électriques…
(Parenthèse : rappelez-vous que l’essence plus chère encourage également l’industrie à créer des carburants et des véhicules plus propres. C’est ce qu’on appelle l’élasticité de l’offre, et cela détermine à quel point les consommateurs auront accès à des substituts faibles en carbone pour leurs déplacements. Nous réservons ce sujet pour un autre billet.)
En route! La tarification du carbone peut réduire les émissions dues aux transports
Les exemples cités jusqu’à présent concernent la réaction des consommateurs aux variations du prix de l’essence en général. Qu’en est-il de la tarification du carbone proprement dite?
L’expérience de la taxe sur le carbone en Colombie-Britannique nous apporte des réponses. Plusieurs études concluent que la taxe de 30 dollars la tonne qui a été introduite dans cette province et qui a fait grimper le prix de l’essence de 7 puis 8 cents a engendré une baisse de la consommation d’essence de 7 à 17 pour cent. L’étude d’Antweiler et Gulati (de l’Université de la Colombie-Britannique) précise que les consommateurs ont réagi à l’introduction de la taxe sur le carbone en achetant des véhicules plus écoénergétiques.
Le caractère permanent de la tarification du carbone renforce aussi le signal qui est envoyé aux automobilistes. En effet, les gens réagissent plus fortement aux taxes sur l’essence qu’aux fluctuations de prix habituelles. Une étude démontre ainsi que les consommateurs sont presque trois fois plus sensibles aux changements de prix à caractère permanent (comme les taxes) qu’aux variations plus temporaires. Une autre étude, par Rivers et Schaufele, arrive aux mêmes conclusions.
L’idée que les automobilistes réagissent à la tarification du carbone devrait en fait couler de source. Même si, à court terme, on conserve sa voiture à essence ou au diesel et qu’on n’a guère d’autres solutions, l’augmentation du prix du carburant nous incitera à faire de petits ajustements. Au lieu de se rendre au travail en voiture tous les jours, certains prendront l’autobus une fois par semaine, ou alors pédaleront ou covoitureront, afin d’économiser sur l’essence. Les plus grosses décisions concernant les achats et les déplacements se font, elles, sur le long terme. Chacune de ces réactions à la tarification du carbone, petites et grandes, contribue à réduire les émissions de GES du secteur des transports.
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