La politique canadienne du climat fait un bond en avant
Concevoir des politiques pour le climat n’est pas de tout repos. Discuter entre gouvernements provinciaux de manière fructueuse l’est sans doute encore moins. Alors bravo aux premiers ministres du pays pour le progrès accompli sur un terrain vraiment difficile. En effet, depuis le 9 de ce mois, nous avons officiellement un « Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques ». Encore mieux, ce plan est presque à la hauteur de nos cibles actuelles, qui sont ambitieuses.
Comme c’est souvent le cas au Canada, cette entente est l’aboutissement de longues négociations et de nombreux compromis. Elle marche en équilibre sur le fil qui passe entre l’efficience et le pragmatisme, entre la théorie et la pratique. L’efficience consiste à minimiser les coûts de la réduction des émissions de GES. Ces coûts revêtent une grande importance, particulièrement à une époque de faible croissance économique, quand le niveau de vie moyen peine à s’élever. Le pragmatisme est une chose bien connue des politiciens qui réussissent à durer : cela consiste à créer des consensus. Une large adhésion est essentielle si l’on veut qu’une politique publique survive aux vagues électorales successives.
Dans l’ensemble, le compromis qui est au cœur du Cadre pancanadien semble à la hauteur des efforts considérables qu’il a nécessités. Toutefois, certaines questions demeurent, et tout va se jouer dans la mise en œuvre du plan.
Considérons trois éléments clés de ce cadre politique.
Premièrement, il ordonne une croissance du prix du carbone dans tout le Canada. Pour les tenants d’une politique du climat au meilleur coût, c’est le gain le plus important. L’idée qu’une tarification large du carbone est le moyen le plus économique de réduire les émissions de GES fait quasiment l’unanimité parmi les économistes. Dans sa quête d’atténuation des émissions, un régime de tarification du carbone ne favorise aucun secteur ou technologie. Il laisse les émetteurs choisir leur propre méthode de réduction – et ceux-ci ont un puissant incitatif à trouver l’approche la moins coûteuse.
Deuxièmement, le plan fait en sorte que les provinces et les territoires conservent les revenus de la tarification du carbone et les réinvestissent de la manière qu’ils jugent appropriée. Un recyclage judicieux de ces revenus peut engendrer des retombées économiques intéressantes, ce qui contribue à abaisser le coût global de la politique de tarification. Il n’y a pas de recette gagnante : chaque province ou territoire est libre de son approche. Peu importe son choix, le plan garantit que les revenus ne seront pas prélevés de la province pour être redonnés à une autre.
Troisièmement, le plan donne aux provinces toute latitude quant à la manière dont le carbone sera tarifé. Certaines provinces, comme le Québec et l’Ontario, ont adopté un mécanisme d’échange de droits d’émissions. D’autres, comme la Colombie-Britannique et l’Alberta, possèdent une taxe sur le carbone. Cette flexibilité est la clé du consensus qu’il faut créer dans tout le pays autour du Cadre pancanadien : elle permet d’accommoder les politiques provinciales déjà existantes.
Ces trois éléments combinent adroitement efficience et pragmatisme. Le choix de la tarification garantit l’efficacité par rapport aux coûts; et la flexibilité accordée aux provinces témoigne d’un grand pragmatisme. Jusqu’ici, tout baigne.
Il y a malgré tout deux voyants rouges d’allumés.
L’inconvénient, avec tant de flexibilité accordée aux provinces, c’est qu’on pourrait se retrouver avec des prix du carbone assez dissemblables d’une région à l’autre, notamment si le Québec et l’Ontario continuent d’avoir accès aux droits d’émission californiens à bas prix. Or, la persistance d’écarts de prix importants pourrait conduire les entreprises à se relocaliser dans une autre province, ce qui, du point de vue des émissions de GES, créerait un jeu à somme nulle à l’échelle du pays. Une solution à ce problème potentiel serait de permettre l’échange de compensations carbone ou de droits d’émission entre les provinces. Ce commerce tendrait à niveler les divers prix du carbone. Mais le Cadre pancanadien est muet à ce chapitre.
Second problème à l’horizon : le prix du carbone à long terme au Canada. Si le prix plancher ne continue pas d’augmenter au-delà de 50 dollars la tonne après 2022, deux choses risquent de se produire : soit le plan n’engendrera pas suffisamment de réductions d’émissions, soit il devra avoir recours de façon massive à des politiques climatiques dirigistes, non fondées sur le prix, et donc coûteuses. Les politiques complémentaires de ce type ont un rôle à jouer, mais les gouvernements doivent en user délicatement. Elles doivent renforcer la tarification du carbone, combler les vides pour la rendre plus efficace, pas faire le gros du travail. Le recours aux réglementations strictes et aux subventions visant des technologies précises pourrait rendre la politique du climat dans son ensemble beaucoup plus coûteuse.
Un dernier élément du Cadre pourrait aider à résoudre ces problèmes. Deux évaluations administratives, en 2020 et 2022, seront l’occasion de réexaminer les politiques provinciales de tarification du carbone. Les écarts de prix sont-ils devenus problématiques? Si oui, quel mécanisme permettrait d’aplanir les écarts? À quel rythme le prix plancher du carbone devrait-il augmenter? Le fait de procéder à des ajustements périodiques accroît la performance des politiques publiques; établir un calendrier d’évaluations constitue une méthode pratique de le faire.
En définitive, le nouveau Cadre pancanadien pour le climat représente tout un exploit. C’est une combinaison impressionnante d’efficience et de pragmatisme – un pur produit canadien.
La version originale de ce texte est parue dans Maclean’s le 14 décembre 2016.
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