Frigos et aérosols : les mesures anti-HFC sont le complément parfait de la tarification du carbone
Dans ce dernier d’une série de trois billets sur les mesures complémentaires en faveur du climat, nous examinons l’entente internationale conclue récemment pour freiner l’utilisation des hydrofluorocarbones – un puissant gaz à effet de serre employé dans les réfrigérateurs, les climatiseurs et les aérosols. Plus précisément, nous verrons comment une politique ciblée de réduction des HFC dans le cadre d’un accord global peut compléter la tarification du carbone au Canada.
Au commencement était un autre problème environnemental
Dans les années 1970, des scientifiques ont découvert qu’un ensemble de gaz couramment employés comme réfrigérants et dans les aérosols, appelés chlorofluorocarbones (CFC), étaient en train de percer un trou dans la couche d’ozone, exposant la Terre à un rayonnement ultraviolet nocif. Ceci a mené à la signature en 1987 du protocole de Montréal, qui prévoit le retrait graduel des CFC.
Cet accord s’est révélé très efficace. La consommation annuelle de CFC est passée de plus de 1 Mt dans les années 1980 à pratiquement zéro en 2010, et la couche d’ozone est en voie de rétablissement. Et comme les CFC sont un puissant gaz à effet de serre, le protocole de Montréal a eu comme avantage collatéral de réduire les émissions globales de GES (figure 1). Presque par accident, ce traité est aujourd’hui considéré comme l’une des plus grandes avancées dans la lutte contre les changements climatiques. Le Canada a observé le protocole en interdisant la production et l’importation de CFC et en ordonnant le retrait progressif d’autres substances nocives pour la couche d’ozone mais moins puissantes.
Ce sont principalement les hydrofluorocarbones qui ont remplacé les CFC. Les HFC ont des effets minimes sur la couche d’ozone. Mais comme les CFC avant eux, ce sont de puissants gaz à effet de serre : jusqu’à 14 800 fois plus puissants que le dioxyde de carbone. En somme, nous avions remplacé un GES par un autre (bien que le ratio de substitution ait été inférieur à 1 pour 1).
Les émissions de HFC sont encore bien inférieures au niveau qu’avaient atteint les CFC à leur apogée. Elles représentent seulement 2 % des émissions globales. Cependant, c’est la source d’émissions qui augmente le plus rapidement, à cause de la demande croissante de climatiseurs et de réfrigérateurs. Au Canada, les émissions de HFC comptent pour moins de 1 % des émissions totales, mais elles ont augmenté de 450 % entre 1995 et 2013. Si rien n’est fait, on prévoit que les émissions de HFC pourraient complètement anéantir les progrès accomplis grâce au protocole de Montréal (figure 2).
Pour prévenir cette issue, la communauté internationale a accepté le mois dernier d’ajouter une clause au protocole de Montréal. L’amendement établit des cibles de réduction contraignantes pour les 197 pays signataires, qu’il oblige à réduire massivement leur utilisation de HFC. Cela permettrait de diminuer les émissions de GES de 4 milliards de tonnes supplémentaires par année, soit environ le dixième de l’effort qui est nécessaire pour maintenir la hausse des températures globales dans la zone « sécuritaire ».
La réglementation des HFC : un complément, pas un substitut
Jusqu’à présent, les politiques de tarification du carbone au Canada et à l’étranger ont exclu les émissions de HFC. Les HFC appartiennent à un genre d’émissions liées à des procédés industriels. À la différence des autres sources importantes de GES, ils émanent de sources nombreuses et diffuses, ce qui les rend difficiles à mesurer. Le volume et l’intensité des émissions de HFC dépendent aussi de la manière dont les produits qui en contiennent sont traités à la fin de leur vie utile. Toutes ces caractéristiques rendent très compliquée leur inclusion dans le calcul d’un tarif carbone.
Par conséquent, des politiques ciblées visant à réduire les émissions de HFC peuvent combler une lacune critique de la tarification du carbone. Une politique étendue est plus efficace : elle réduit les émissions supplémentaires issues de sources additionnelles. Mais elle est aussi plus efficiente, en particulier quand on considère les options peu coûteuses qui existent déjà pour se détourner des HFC.
Cela dit, les mesures anti-HFC ne sont pas un substitut à la tarification générale du carbone. Les émissions de HFC représentent une proportion relativement faible de tous les GES présents dans l’atmosphère. La réglementation mettant en application le protocole de Montréal ne s’attaque pas à ces autres sources plus abondantes, tels le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitreux (protoxyde d’azote, N2O). Bien que les politiques de réduction des HFC soient un élément important de la lutte contre les GES, elles ne suffiraient donc nullement à remplacer la tarification du carbone.
Toutes les mesures anti-HFC ne se valent pas
Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a entrepris d’élaborer la réglementation nécessaire pour honorer les engagements du pays en vertu du protocole de Montréal tel qu’amendé. Plusieurs options sont envisageables, certaines plus efficaces et dispendieuses que d’autres.
Les gouvernements peuvent carrément interdire l’utilisation des HFC, ou interdire ceux d’entre eux qui dépassent un certain seuil de puissance (tous les HFC n’ont pas le même potentiel de réchauffement sur le climat). La prohibition tend à être l’option la plus coûteuse, car elle laisse moins de flexibilité aux émetteurs, mais elle peut néanmoins se révéler très efficace, comme l’a prouvé l’éradication rapide des CFC.
Une solution plus flexible pourrait être de plafonner les émissions de HFC en permettant l’échange de droits d’émission entre les émetteurs. Ou alors, comme ce sera bientôt le cas en Norvège, les gouvernements pourraient créer une taxe spécifique sur les HFC, remboursable lors du traitement approprié des déchets en fin de cycle.
Savoir prendre un complément
Les hydrofluorocarbones ne constituent qu’un petit sous-ensemble des émissions globales de gaz à effet de serre. Mais ils ont le pouvoir d’accélérer sérieusement le changement climatique. Étant donné la difficulté d’inclure les HFC dans une politique de tarification du carbone, une réglementation ciblée concernant ces gaz est tout à fait sensée. Les gestes que pose le Canada s’inscriraient dans un effort international de réduction des HFC, dans la foulée du succès du protocole de Montréal.
Mais il ne faut pas oublier que le détail de la réglementation canadienne qui est en cours d’élaboration aura des implications importantes pour l’efficacité et l’efficience des mesures anti-HFC. Comme pour les autres mesures de lutte contre le changement climatique, les solutions qui établissent un équilibre entre flexibilité, exigence et prévisibilité tendent à réduire les émissions au moindre coût économique. Avec le bon équilibre, une réglementation intelligente sur les HFC pourrait améliorer la performance générale des politiques climatiques canadiennes.
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