Tarification du carbone et innovation
L’« innovation » est sur toutes les lèvres en ce moment. Nombre de cerveaux réfléchissent et écrivent sur la manière dont les politiques publiques pourraient stimuler l’innovation et et la croissance. C’est entendu, l’innovation, ça compte. Elle permet d’employer des intrants – capital, main-d’œuvre, ressources – de manière plus efficace. Elle est particulièrement utile à l’effort de réduction des gaz à effet de serre. L’innovation dans les techniques et les procédés peut nous aider à diminuer les émissions de GES à moindre coût.
Dans le murmure croissant de cette discussion sur l’innovation, pouvons-nous prendre quelques instants pour nous rappeler l’existence d’une politique d’innovation qui est déjà là, sous notre nez : la tarification du carbone? Comme l’a noté David Popp dans un récent « mémo » de l’institut C.D. Howe, la tarification du carbone n’est pas une simple mesure d’atténuation; c’est aussi le meilleur stimulant pour l’innovation en matière de décarbonisation. Chez Resources for the Future, Carolyn Fischer écrit de même : « La tarification du carbone est une politique technologique. »
Ce billet examine plus attentivement le mécanisme qui relie la tarification du carbone à l’innovation.
Prévoir le prix du carbone
Tout d’abord, il importe de faire la distinction entre les mécanismes d’innovation efficiente d’aujourd’hui et les mécanismes du futur.
La Commission de l’écofiscalité a beaucoup parlé des avantages, en fait de flexibilité, que comporte la tarification du carbone. Celle-ci permet aux émetteurs de réagir au prix du carbone en réduisant leurs émissions de GES comme bon leur semble, d’une manière qui minimise leurs coûts. En d’autres termes, ils prennent les moyens qu’il faut, quels qu’ils soient, pour réduire leurs émissions afin de payer moins que le prix du carbone. Si le prix du carbone augmente, ils mettent en œuvre davantage de ces moyens.
Mais ce n’est pas là le seul incitatif produit par la tarification. Une bonne politique de tarification du carbone crée aussi des attentes relatives au prix futur du carbone. Cela signifie que les technologies qui réduisent les émissions à moindre coût continueront d’avoir de la valeur plus tard. Et donc, par voie de conséquence, que les ingénieurs et les inventeurs ont tout avantage à développer ces technologies du futur.
Résultat net : le coût de la réduction des émissions suit une tendance à la baisse. Avec l’émergence de nouvelles technologies, de nouvelles façons de réduire les émissions font leur apparition; et le coût de réduction des émissions (ce qu’il en coûte pour atteindre les cibles) baisse encore. (Avantage supplémentaire : les innovateurs peuvent vendre leurs produits à l’étranger et ainsi engendrer d’autres réductions d’émissions à l’échelle planétaire.)
En d’autres termes, la tarification du carbone ne nous aide pas seulement à grimper le long de la courbe du coût marginal de réduction, en favorisant les réductions efficientes d’émissions de GES à mesure que le prix du carbone monte. La tarification entraîne également un déplacement vers le bas de la courbe tout entière (voir le graphique), car de nouvelles technologies émergent et les anciennes deviennent moins chères.
Flexibilité, prévisibilité, exigence
La tarification du carbone n’est pas le seul instrument capable de créer de forts incitatifs en faveur de l’innovation. D’autres politiques peuvent régler les attentes en ce qui concerne les incitatifs à venir, du moment qu’elles remplissent trois conditions.
Premièrement, ces politiques doivent être flexibles. Une politique dirigiste obligeant les émetteurs à employer une technologie particulière (p. ex., les codes du bâtiment) ou à atteindre un seuil précis d’intensité d’émissions (p. ex., les normes d’efficacité pour les véhicules) incitent seulement à respecter ce seuil, pas davantage. Les politiques flexibles, elles, incitent à améliorer sa performance de façon continue.
Deuxièmement, les politiques doivent offrir des garanties fermes. Si les émetteurs ne sont pas certains que la politique sera maintenue à l’avenir – à la suite d’un changement de gouvernement –, l’incitatif perd de sa force. C’est l’un des avantages de la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique : comme elle est sans incidence sur les revenus fiscaux de la province, elle est difficile à défaire. L’abolir obligerait l’État à compenser en augmentant d’autres taxes ou en coupant dans les dépenses de programmes.
Troisièmement, les politiques doivent être exigeantes, ou du moins annoncer des exigences futures. Si elles ne fixent pas des cibles de réductions d’émissions ambitieuses, elles seront faciles à respecter, et l’incitation à innover sera plus faible.
La tarification du carbone est de toute évidence une mesure flexible. Mais si elle bien implantée, elle créera aussi des attentes claires quant aux exigences futures. En pratique, cela implique, dans le cas d’un système d’échange de droits d’émissions (cap-and-trade), de fixer la trajectoire déclinante des plafonds d’émissions, et dans le cas d’une taxe sur le carbone, de fixer la courbe ascendante du prix du carbone. Et de fait, telle est bien l’approche retenue dans la récente annonce du gouvernement fédéral : le prix de la tonne de carbone dans les provinces canadiennes devra augmenter de 10 dollars chaque année jusqu’à atteindre au moins 50 dollars en 2022. Du point de vue de la prévisibilité, on connaît donc non seulement le prix, mais aussi le rythme de son augmentation. Le prix du carbone continuera-t-il de croître après 2022? Si le marché le pense, davantage d’innovation s’ensuivra en matière de décarbonisation.
Néanmoins, d’autres réglementations intelligentes peuvent remplir les trois conditions que nous avons énoncées. Des normes de performance assorties de mécanismes d’échange (comme pour les normes de carburants à faible teneur en carbone de la Colombie-Britannique) offrent de la flexibilité, du moins entre les technologies existantes. Mais pour que ces réglementations incitent à l’innovation, elles doivent aussi tracer un parcours prévisible pour le resserrement des exigences. Autrement dit, le niveau de performance exigé par la réglementation (émissions par unité produite, émissions par kilomètre parcouru, etc.) ne doit pas être statique; il doit augmenter de façon constante et prévisible. Fixer la trajectoire à long terme des normes de performance est délicat, et c’est un défi important des réglementations intelligentes.
Des instruments politiques pour l’innovation écologique
Les de soutien à l’innovation ont peut-être encore un rôle à jouer. Mais une politique d’atténuation exigeante, flexible et prévisible devrait fournir l’ossature de la stratégie d’atténuation. Et la tarification du carbone demeure la politique qui répond le mieux à ces trois critères. Dans l’étude de l’institut C.D. Howe citée plus haut, David Popp écrit : « Combiner les subventions à la R et D avec la tarification du carbone engendre un bénéfice économique supérieur. Mais la tarification employée seule permet déjà d’atteindre 95 % de ce bénéfice. En revanche, une politique qui ne consiste qu’en des subventions à la R et D ne produira que 11 % des bénéfices obtenus avec l’approche combinée. »
Au bout du compte, le chemin de la réduction rentable des émissions, surtout si l’on recherche des réductions sérieuses, passe par l’innovation. Vous voulez de l’innovation pour décarboniser l’économie? Une politique intelligente qui travaille à l’atténuation aujourd’hui peut aussi travailler en faveur de l’innovation pour demain.
Comments are closed.