Le bœuf… et son empreinte carbone
Le bœuf passe souvent un mauvais quart d’heure quand vient le temps de parler de son empreinte écologique. Dans ce billet, je me penche sur les causes du problème et sur les solutions possibles.
D’abord, la charrue
En guise de hors-d’œuvre, ce préambule important : premièrement, j’adore le bœuf; deuxièmement, mon but n’est pas de vous en priver.
En cette fin d’été, alors que l’odeur du BBQ persiste encore un peu dans l’air, l’idée d’un monde sans bœuf est pour nombre d’entre nous infiniment triste. Mais comme nous allons le voir, la saveur délicieuse du bœuf s’accompagne d’un arrière-goût très amer.
Excellent, sauf pour l’environnement
Les Canadiens sont fous du bœuf. Notre consommation est en baisse constante depuis les années 1980, mais nous en mangeons encore beaucoup : en moyenne 24 kilos par personne chaque année, moins que le poulet, mais davantage que toute autre source de protéines animales.
La production de tout ce bœuf a un coût environnemental. Une étude américaine révèle que, calorie pour calorie, elle nécessite 11 fois plus d’eau et 28 fois plus de terre arable que la moyenne combinée des autres viandes d’élevage. Et le chercheur principal de cette étude estime que les résultats sont similaires pour le Canada. (Un important projet de recherche canadien vérifie la chose en ce moment.)
La production de tout ce bœuf a un coût environnemental. Une étude américaine révèle que, calorie pour calorie, elle nécessite 11 fois plus d’eau et 28 fois plus de terre arable que la moyenne combinée des autres viandes d’élevage. Et le chercheur principal de cette étude estime que les résultats sont similaires pour le Canada. (Un important projet de recherche canadien vérifie la chose en ce moment.)
Mais laissons de côté pour l’instant ces « autres » incidences sur l’environnement (de même que les questions éthiques et de santé) pour nous concentrer sur les émissions de GES.
Gaz à tous les étages
Le bœuf contribue énormément aux émissions de GES à l’échelle planétaire. Il le fait, pour les trois quarts, sous forme de méthane, un gaz à effet de serre éphémère mais puissant : 25 fois plus puissant, en fait, que le CO2. Les bovins sont des ruminants dont le processus de digestion occasionne l’émission de méthane. Cela se fait par les deux bouts, mais l’éructation est apparemment la principale coupable.
Un bœuf qui rote dans son coin, ce n’est pas bien grave, mais la présence de 5 millions de têtes rien qu’au Canada donne une autre dimension au problème. Tout compte fait, les émissions de GES attribuables à la production bovine s’élèvent à environ 27 millions de mégatonnes par année. Cela équivaut à 3,6 pour cent des émissions totales du pays, au tiers de celles provenant de l’agriculture en général et à près des trois quarts des émissions de GES issues de l’élevage.
Les autres bestiaux n’arrivent même pas au jarret du bœuf. L’étude citée précédemment révèle que la viande bovine correspond à cinq fois plus de GES par calorie que les autres produits de l’élevage… pour ne rien dire des émissions associées à la plupart des légumes et des céréales, qui sont de 10 à 40 fois moindres.
Bien entendu, on trouve du bœuf-biologique-élevé-en-pâturage-nourri-au-grain-et-bichonné-dans-un-spa qui génère des émissions plus modestes. Mais cela ne représente qu’une infime portion du marché, pour l’instant du moins. L’essentiel du bœuf que mangent les Canadiens possède une empreinte carbone considérable.
S’attaquer à l’empreinte carbone du bœuf
Si nous souhaitons réellement que le Canada atteigne ses cibles de réduction des émissions, il nous faut rechercher des occasions d’atténuation des impacts environnementaux dans tous les secteurs, en particulier chez les gros émetteurs, comme la production bovine. Cela ne signifie pas qu’il faille supprimer le bœuf entièrement (ouf!), mais plutôt que nous devons essayer de réduire les émissions qui viennent avec.
Un moyen d’y arriver est de manger moins de bœuf, ce que certains pays incitent déjà à faire. Le gouvernement des Pays-Bas a récemment invité les Néerlandais à limiter la quantité de viande dans leur régime, notamment la viande rouge. Même la Chine s’y met, qui recommandait il y a peu à ses citoyens de réduire leur consommation de viande de moitié, ce qui permettrait d’espérer d’importants bénéfices climatiques.
Certains courants culturels vont dans le sens de cette conversion. Il y a maintenant une Journée internationale sans viande et des lundis sans viande. Les légumes se sont déplacés « au centre de l’assiette » dans certains restaurants, et le végétalisme est tendance (je suis moi-même un adepte du véganisme les jours de semaine, ce qui n’est pas aussi difficile – ni aussi déprimant – que ça en a l’air).
Mais en dépit de tout cela, nos habitudes alimentaires carnées changent très lentement, et les émissions de GES liées à notre consommation de bœuf, bien qu’elles aient baissé depuis le début des années 1980, demeurent élevées.
Solutions écofiscales
Les gens réagissent aux variations de prix; c’est la loi de la demande. Quand le prix d’une chose monte, nous en consommons moins. On a pu constater récemment que cela se vérifiait avec le bœuf au Canada : l’année dernière, des problèmes d’approvisionnement ont fait augmenter les prix, et les Canadiens ont réduit leur consommation en achetant davantage d’autres types de viande.
Faire en sorte que le prix du bœuf reflète son coût environnemental est une bonne politique d’écofiscalité. Idéalement, tant les émissions de GES du bœuf que ses autres incidences environnementales devraient être prises en compte, mais tenons-nous-en ici aux GES. Voici quelques idées écofiscales pour faire en sorte que le prix du bœuf reflète le coût de son impact environnemental.
La tarification du carbone comme panacée?
Afin d’ajouter le coût des émissions de GES au prix d’un bien ou d’un service, une taxe sur le carbone ou un système de Bourse du carbone est une excellente solution, comme nous l’avons montré ailleurs. L’ennui, c’est que les émissions dues au bétail se prêtent mal à la tarification. Les sources d’émission sont trop diffuses pour être mesurées directement – et ça ne serait pas un boulot très agréable de toute manière. Par conséquent, les émissions de GES des animaux d’élevage ne sont généralement par prises en compte dans les systèmes de tarification du carbone.
Les crédits carbone à la rescousse?
Une solution de compromis pourrait être l’échange de crédits d’émission de carbone. Les fermes bovines prendraient des moyens pour réduire leurs émissions, feraient mesurer leurs réductions et en vendraient l’équivalent en crédits carbone. Certains systèmes de tarification du carbone au Canada et aux États-Unis permettent déjà d’intégrer ce genre de crédits. Le recours aux crédits carbone peut permettre d’étendre la tarification du carbone dans l’économie, mais il a ses limites en ce qui concerne les émissions de l’industrie bovine : comme ces crédits ne concernent que le côté de l’offre, rien ne vient encourager les consommateurs à réduire les émissions liées au bœuf du côté de la demande.
Il suffit de prélever
Une autre solution consisterait à prélever une « taxe climat » sur le bœuf. Pour chaque kilo de viande vendu, un petit montant serait ajouté au prix pour tenir compte des émissions de GES supplémentaires que le bœuf génère par comparaison avec les autres viandes. (Idéalement, on aurait une taxe particulière pour chaque type de viande, mais il est logique de se concentrer sur le bœuf étant donné ses émissions de GES beaucoup plus grandes.)
La taxe serait perçue au moment de la vente en gros. Le bœuf importé y serait assujetti, mais pas le bœuf destiné à l’exportation, afin que la compétitivité n’en souffre pas. Point important, les producteurs canadiens seraient partiellement dédommagés s’ils peuvent démontrer que l’intensité de leurs émissions est inférieure à la moyenne de l’industrie.
En tarifant une portion très polluante de l’inventaire des gaz à effet de serre du Canada que la tarification actuelle néglige, la taxe sur le bœuf compléterait avantageusement le système en place. Elle contribuerait à engendrer des réductions d’émissions rentables. Elle aiderait à réduire certains des autres effets écologiques de la production bovine. Et elle générerait des revenus pouvant être employés à diverses fins, notamment à dédommager les agriculteurs qui seraient affectés négativement (on pourrait même rendre cette aide conditionnelle à l’implantation de pratiques de gestion bénéfiques).
Voici comment une taxe sur le bœuf pourrait être implantée :
- D’abord, on déterminerait les émissions moyennes engendrées par la production d’un kilo de bœuf au Canada (des estimations récentes situent le potentiel de réchauffement global de ces émissions entre 17 et 22 kg d’équivalent CO2 pour un kilo de bœuf, poids à l’abattage).
- Ensuite, on soustrairait la moyenne des émissions des autres types de viandes, afin de ne conserver que les émissions supplémentaires attribuables au bœuf (comme indiqué plus haut, la production des autres viandes engendre des émissions moyennes cinq fois moins importantes que la production bovine).
- Enfin, pour établir le montant de la taxe par kilogramme, l’intensité moyenne des émissions de la production de bœuf serait multipliée par le prix courant du carbone (la taxe sur le carbone de 30 dollars la tonne en Colombie-Britannique pourrait servir de référence).
En prenant les chiffres cités plus haut, disons au jugé que la taxe sur le bœuf tournerait autour de 45 cents le kilo. D’après mes calculs non scientifiques (obtenus après une visite à l’épicerie du coin), cela voudrait dire une augmentation du prix du bœuf de 3 à 4 pour cent.
Mais si son effet sur le prix serait minime, la taxe sur le bœuf créerait de puissants incitatifs. Du côté de la demande, une légère augmentation du prix du bœuf encouragerait les consommateurs à en manger moins en achetant davantage d’autres viandes, ou davantage de légumes et de céréales. Du côté de l’offre, les éleveurs s’efforceraient de réduire l’intensité des émissions de leur activité afin d’être éligibles à un dédommagement, ce qui renforcerait certaines tendances salutaires dans l’industrie. (Entre 1981 et 2011, l’intensité des émissions de GES de la production bovine au Canada a chuté de 15 pour cent grâce aux efforts d’innovation de l’industrie dans les domaines de la génétique, de la nutrition, de la physiologie reproductive et de la gestion des troupeaux.) Résultat : les émissions de GES attribuables au bœuf diminueraient.
Oui, une taxe sur le bœuf, c’est dur à avaler
Nous sommes pleinement conscients de ce qu’une taxe sur le bœuf susciterait fatalement une forte opposition dans le secteur de l’élevage, chez les libertariens et au sein du public carnivore. Mais si le Canada entend réellement réduire ses émissions de GES, alors il nous faut examiner toutes les options, et la perception d’une taxe sur le bœuf apparaît tout à fait sensée. Le bœuf est une source majeure d’émissions, et le fait d’y appliquer une « taxe climat » inciterait fortement les consommateurs à consommer moins et les producteurs à produire mieux.
Se passionner pour l’introduction d’une taxe sur le bœuf n’est sans doute pas un bon moyen de se faire des amis autour du BBQ, et l’avènement d’une politique aussi peu appétissante prendra certainement du temps. Mais ne vous étonnez pas d’en réentendre parler dans les années à venir, au Canada et à l’étranger, quand le temps sera venu de prendre le problème du climat par les cornes.
2 comments
Pourriez-vous faire le même exercice sur un autre produit emblématique canadien, soit l’érable SVP C’´est un drame potentiel. Merci ( ou parler à vos collégues si ce n’est pas vous))
Voici de quoi vous inspirer:
“Vive l’érable libérée du fossile!
Éliminons le carbone de notre sirop, ça urge! Demandons une stratégie pour réduire le mazout dans l’érable! EXIT LE MAZOUT DANS L’ÉRABLE!
Pour que le sirop d’érable soit zéro-carbone, il faut que le produit naturel soit bouilli avec un évaporateur au bois, à la biomasse ou à l’électricité propre. Malheureusement, plus de 90 % de notre production actuelle est faites en utilisant un évaporateur au mazout. On doit bruler 80 000 barils de mazout pour produire 250 000 barils de sirop, et c’est très polluant en contribuant significativement à l’augmentation nette des GES dans l’atmosphère en relâchant du carbone qui était bien enfoui loin dans la croute terrestre, là ou il devrait être.
Avec une une certification carbone-neutre, nous pourrions nous assurer de commercialiser un bon sirop noble qui ne contribue pas à l’augmentation du CO-2 /GES dans l’atmosphère.
( Le BIO n’est pas une protection, ils acceptent le mazout).
Marc Chenier, ex-agronome-retraité
Note: La science environnementale nous enseigne qu’avec ces trois sources d’énergie, il n’y a pas d’augmentation nette de CO-2 dans l’atmosphère. La canopée des arbres ou des plantes recyclent le carbone avec un impact neutre sur l’atmosphère, alors que l’électricité propre ( éolienne ou hydraulique), elle, elle ne génère pas de carbone en soi.)
Voir:
1-Rapport Gagné 2016:
(https://www.mapaq.gouv.qc.ca/fr/Publications/RapportErableFINAL.pdf)
2-Rapport Forest 2014 : ( http://www.conseiltaq.com/documents/pdf/Rapport%20final%20e%CC%81tude%20ace%CC%81riculture%20FLC.pdf )
3- FPAQ, Entretenir et développer le leadership acéricole québécois, octobre 2015, http://fpaq.ca/wp-content/uploads/2015/02/Memoire_commision_Gagne-2015-10.pdf
Très intéressant. Je pense en effet que la baisse des GES indirects liés a la consommation passe par un éco étiquetage et une “taxe carbone”. Par contre, L’ étiquetage clair des produits ainsi que les émissions de GES doivent être visibles sur les produits, sinon le consommateur va se sentir bafoué avec une autre taxe qui-va-on-ne-sait-trop-où.
Le boeuf, oui, mais à quand une taxe carbone sur les automobiles neuves à moteur à combustion pour la phase utilisation (ex: Émission projetée après 200000 km)? Cette mesure pourrait avoir un impact majeur pour l’accélération de l’électrification des transports.
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