Tarifer la congestion pour mieux la combattre : Singapour sait faire !
Je fais présentement un séjour de six mois à la Singapore Management University. J’y suis depuis un mois, mon bureau est au centre-ville et je n’ai jamais vu encore un bouchon de circulation! Et pourtant, la population de Singapour est 280% plus élevée que celle de l’Île de Montréal, alors que sa superficie n’est que 40% plus grande.
La sortie de notre récent rapport sur la tarification de la congestion et ses recommandations pour Montréal, soit de tarifer les ponts entourant l’Île, ont provoqué de telles réactions que j’ai décidé de poursuivre la réflexion en interviewant le Dr. Chin Kian Keong, directeur des opérations à la « Land Transport Authority», l’organisme qui gère les transports terrestres à Singapour. Bien que le statut de cité-État lui confère plus de pouvoir que nos grandes villes canadiennes, l’expérience de la tarification de la congestion à Singapour permet tout de même de tirer des leçons utiles.
Comment ça fonctionne
Imaginez ! La tarification de la congestion à Singapour date de 1975. Le système prévoyait alors que les véhicules entrant au centre-ville à l’heure de pointe aient un collant d’une certaine couleur apposé au pare-brise avant. Des policiers assuraient un contrôle visuel.
En 1999, le péage électronique (« Electronic Road Pricing – ERP ») a été introduit. Le système est simple : chaque véhicule dispose d’un lecteur de carte dans lequel le conducteur insère une carte prépayée rechargeable; et lorsque qu’une auto franchit un « portique » électronique (photo), un montant est débité sur la carte. Bien sûr, ce paiement varie selon l’heure du passage. Présentement, le montant le plus élevé est de 6$ (CAN) pour un passage.
Et ce n’est pas fini ! Singapour est maintenant intéressée par la technologie via satellites. D’après M. Keong, deux raisons motivent cet intérêt : le coût élevé des « portiques » électroniques et la possibilité d’avoir une tarification plus « fine » tenant compte à la fois de l’heure de la journée, de l’endroit où une voiture circule et de la distance parcourue. Comme quoi l’amélioration des technologies rendra la tarification plus précise et en diminuera les coûts d’application. M. Keong croit que ce changement se fera d’ici 2020, bien que la décision finale ne soit pas encore prise.
Pour plus d’informations, consultez http://www.lta.gov.sg/content/ltaweb/en/roads-and-motoring.html.
Et ça marche!
Des estimations ont été faites quant à l’impact de la tarification électronique sur la circulation. Une étude, menée en 2004 par M. Keong et ses collègues, a révélé que « l’élasticité » se situe en moyenne à -0.3; autrement dit, une augmentation du tarif de 10 % se traduit par une réduction du nombre de véhicules en circulation de 3 %. Comme les expériences de Londres et de Stockholm l’ont montré, le signal de prix influence les comportements !
Un cocktail de solutions !
Non, je ne vous parlerai pas du fameux « Singapore sling ». Comme nous l’avons évoqué maintes fois lors de la sortie de notre rapport, la tarification n’est pas une solution miracle, elle doit s’accompagner d’autres mesures complémentaires.
À Singapour, cela se traduit d’abord par le contrôle de la quantité de voitures; présentement, leur nombre ne peut augmenter que de 0.25 % par an. Pour acheter une auto, il faut détenir un permis (« Certificate of entitlement ») accessible lors d’une enchère deux fois par mois. La dernière enchère s’est conclue à près de 50 000 $ (CAN). À cela s’ajoutent plusieurs autres taxes, si bien que le coût pour détenir une auto est plus élevé que le prix de l’auto elle-même ! Résultat, seulement 45 % des ménages ont une voiture, même s’il s’agit d’une ville «riche» (le PIB per capita de Singapour est parmi les plus élevés au monde).
Un bon réseau de transport en commun facilite aussi la décision de ne pas posséder de véhicule. Et à Singapour, le métro, c’est le plus performant que je n’ai jamais vu; fréquent, fiable, climatisé et toujours accessible via l’ascenseur pour les poussettes et les fauteuils roulants (et partout, un marquage tactile au sol pour non-voyants !). Présentement, il y 121 stations dont 12 ont été ouvertes en décembre 2015 et 16 nouvelles sont prévues pour 2017 !
Oui, je sais, nous sommes nord-américains, de tels choix seraient difficilement envisageables chez nous…mais nos cibles ambitieuses de réduction des gaz à effet de serre vont nous obliger à des solutions innovantes…pensons-y !
2 comments
Très bon article. Pour réduire les GES ainsi que la lourdeur de la circulation dans les grands centres il faut nécessairement un ensemble de mesures. Il est bon de constater que des moyens sont pris ailleurs dans le monde et que le tout fonctionne! Pour changer ou faire avancer une cause il faut marteler le message, le répéter et ce, sur toutes les tribunes.
Je suis tout à fait d’accord avec vous, nous devrons faire vite et et cela débute par une remise en question de nos paradigmes ou nos manières de penser et d’agir.
Sur ce point dernier point, il y a un énorme pas à franchir. Lorsqu’on regarde de près les résultats du dernier sondage pan canadien sur les changements climatiques publiés la semaine dernière, seulement 44 % des Canadiens estiment que les bouleversements climatiques sont « surtout » provoqués par l’activité humaine, une douche froide pour les plus optimistes! Des perceptions ça se modifie, mais il faudra investir gros dans la sensibilisation du public et adopter (même si ça fait mal) des mesures draconiennes comme des tickets modérateur (taxer les gros véhicules, transport en commun gratuit…)ou des lois plus sévères pour renverser la vapeur…les scientifiques ont sonné l’alarme sur les délais pour RÉAGIR…changer des comportements ça demande du temps et de l’investissement.
Merci de nous faire partager cette expérience…ça ouvre des horizons.
Réjean Fortin (rejean.fortincoop21@outlook.fr)
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