La tarification du carbone au Canada : Pratiques gagnantes, approches perdantes et leçons clés
Par France St-Hilaire
Pour évaluer l’efficacité des différents mécanismes de tarification du carbone au Canada, les Canadiens n’ont pas à chercher très loin. L’Alberta a adopté en 2007 une norme de rendement flexible, le Specified Gas Emitters Regulation (SGER), qui combine des éléments des deux systèmes de plafonnement et d’échange et de taxe carbone. La Colombie-Britannique applique une taxe carbone depuis 2008, et le Québec a récemment lancé un système de plafonnement et d’échange, ou marché du carbone.
S’il est trop tôt pour tirer des conclusions de l’expérience québécoise, on constate des différences frappantes entre les résultats de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.
En six ans d’application de la taxe carbone de la C.-B., l’usage de carburant par habitant a baissé de 16 %, alors qu’il augmentait de 3 % dans le reste du pays. Au cours des quatre premières années, cette taxe a permis de réduire de trois mégatonnes les émissions de GES émanant de la consommation d’essence. Mais en Alberta, les analyses préliminaires indiquent que le SGER n’a eu aucun impact significatif sur les émissions.
Et contrairement aux prédictions alarmantes de ses détracteurs, la taxe carbone ne semble aucunement nuire à l’économie de la Colombie-Britannique : depuis 2008, l’emploi a augmenté et le PIB a progressé de 1,8 % par rapport à la moyenne nationale de 1,3 %.
Quelles leçons tirer de ces deux exemples ?
Leçon nº 1 : Pour modifier les comportements, il faut y mettre le prix
Pour inciter les entreprises et les citoyens à réduire leurs émissions, le prix imposé sur le carbone doit être significatif (mais pas au point de perturber l’économie). La C.-B a fixé ce prix à 30 $ la tonne. Mais les émetteurs albertains ne paient que 15 $ la tonne, et seulement sur une faible partie de leurs émissions.
Leçon nº 2 : L’étendue du champ d’application joue un rôle décisif
Plus le champ d’application est vaste, meilleurs sont les résultats. Le SGER de l’Alberta s’applique uniquement aux grands émetteurs (qui produisent plus de 100 000 tonnes d’émissions par année). Il ne s’applique ainsi qu’à la moitié des émissions de la province, et les émetteurs paient un prix seulement sur les 3 % des émissions dépassant le seuil d’intensité prescrit. Voilà qui explique l’impact infime du SGER, comparativement à la taxe carbone de la C.-B., qui s’applique à quelque 70 % des émissions.
Leçon nº 3 : Combler les lacunes
La véritable différence entre les mécanismes des deux provinces réside dans le coût moyen du carbone. C’est-à-dire le prix réel par tonne de carbone, qui détermine les décisions de planification des entreprises. En C.-B., tous les émetteurs réglementés payant le même prix de 30 $ la tonne, le coût moyen du carbone est aussi de 30 $.
Mais en Alberta, les quelques grands émetteurs industriels assujettis au SGER paient 15 $ la tonne uniquement pour les émissions supérieures à la norme d’amélioration de 12 % d’intensité. Si bien que le coût moyen du carbone n’est que de 1,14 $ la tonne.
Tout compte fait
Comme le montrent ces exemples canadiens – et de nombreux autres à l’étranger –, l’efficacité de la tarification du carbone repose moins sur le choix du mécanisme (taxe, marché du carbone ou modèle hybride) que sur la rigueur de la politique adoptée. Pour obtenir les résultats escomptés, une politique doit fixer un prix effectif suffisamment élevé pour inciter les émetteurs à modifier leur comportement, tout en visant le plus vaste champ d’application possible.
À propos de l’auteur
France St-Hilaire est la Vice-présidente à la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques et un commissaire de la Commission de l’écofiscalité du Canada.
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