Les politiques complémentaires dans un marché du carbone interrelié
Ces derniers temps, dans ce blogue, nous nous sommes étendus en long et en large sur l’élaboration de politiques complémentaires non tarifaires propres à appuyer – et non à saper – la tarification du carbone. Comme toujours, nous avons recherché des politiques qui génèrent des réductions d’émissions de GES à faible coût. Toutefois, dans le monde réel, certains gouvernements continuent de mettre en œuvre des politiques très coûteuses. Aujourd’hui je m’interroge sur les raisons qui peuvent les motiver à agir ainsi. Plus particulièrement, j’étudie la dynamique un peu tordue pouvant résulter d’un mélange d’interactions de politiques, de politiques non tarifaires, de systèmes de quotas d’émissions , et d’un soupçon de politique. (Et voilà : un vrai piège à clics pour grosses têtes…)
Les interactions de politiques peuvent surprendre
Commençons par les interactions entre les systèmes de quotas d’émissions et les autres politiques climatiques. Nous l’avons déjà vu en détail ici, mais en gros :
L’ensemble des quotas d’émissions dans un système comme la Bourse du carbone détermine la quantité totale d’émissions permises, le « plafond », sur une année. Une politique additionnelle peut venir réduire les émissions dans un secteur particulier. Mais comme le plafond d’émissions reste le même, ces nouvelles réductions ne font que déplacer des réductions qui se seraient produites ailleurs dans le système.
Pensez à un ballon. Le volume d’air (ou le maximum d’émissions permises) est fixe. Compresser un bout du ballon crée un gonflement à l’autre bout, mais pas un ballon plus petit.
Par exemple, des subventions pour véhicules électriques réduiront les émissions attribuables au secteur des transports; les distributeurs de carburant auront donc besoin d’acheter moins de quotas d’émissions. Mais alors, d’autres secteurs auront accès à ces quotas, ce qui veut dire qu’ils effectueront moins de réductions d’émissions. Les politiques additionnelles ne changent pas la quantité d’émissions permises au sein d’un système de quotas; elles ne font que déplacer les réductions d’émissions.
La logique politique des chevauchements de mesures
Dans un , nous nous sommes intéressés aux politiques non tarifaires de la Californie et à leurs interactions avec la Bourse du carbone. Nous avons suivi le débat qui a lieu à leur sujet. Qu’est-ce qui motive l’adoption de telles politiques? Nous l’avons dit, les bonnes politiques complémentaires doivent se justifier du point de vue économique. Mais toute politique additionnelle, coûteuse ou pas, peut avoir également des motivations politiques.
Voici un (brévissime) résumé du débat californien (auquel font écho les remarques de Mark Jaccard au Canada). D’un côté, les politiques additionnelles aident à maintenir bas le prix explicite du carbone (soit le prix du marché), ce qui peut rendre le programme plus acceptable aux yeux du public. D’un autre côté, ces politiques augmentent les coûts globaux, mais via un prix implicite, non transparent, imposé par la réglementation. Peu importe où l’on se positionne dans ce débat, il est clair que les gouvernements ont de bonnes raison politiques de vouloir combiner le système de quotas d’émissions avec des politiques additionnelles, que celles-ci jouent réellement ou non un rôle complémentaire.
Commerce du carbone ou mercantilisme?
Mais devinez quoi : il existe d’autres raisons politiques justifiant l’adoption de politiques non tarifaires (et au final plus coûteuses) dans les États « inscrits » à une Bourse du carbone comme le Québec et l’Ontario
Dans le système interrelié auquel ils participent, le Québec et l’Ontario ont de bonnes chances d’être des importateurs nets de quotas d’émissions par rapport à la Californie. Si les réductions d’émissions sont moins coûteuses en Californie, c’est avantageux pour ces provinces du point de vue économique. C’est tout l’intérêt du système d’échange de quotas : le bénéfice climatique des émissions évitées est le même, que ces émissions aient été évitées au Canada ou en Californie. Mais les « importations » de quotas comportent un coût politique; envoyer tout cet argent à l’extérieur de la province ou du pays provoque des froncements de sourcils. Comme l’écrit Marc Cameron, du groupe Canadians for Clean Prosperity, « envoyer des millions et des milliards en Californie au lieu d’agir davantage chez nous [pour mitiger les émissions de GES] est tout simplement honteux ».
C’est ici que les interactions de politiques entrent en scène. Dans un système interrelié, les politiques non tarifaires de l’Ontario et du Québec qui visent des émissions déjà couvertes par la tarification réduisent le nombre de quotas que les émetteurs sont obligés d’importer de la Californie. Vu la façon dont le public perçoit les flux financiers vers l’extérieur, l’avantage politique est évident.
Ce qui soulève une question intéressante : dans quelle mesure le Québec et l’Ontario font-ils confiance à leur marché du carbone et laissent-il les quotas californiens contenir les coûts de leur politique (et le prix du carbone)? Ou au contraire, dans quelle mesure sapent-ils les avantages de cette politique climatique en forçant des réductions d’émissions domestiques, même si elles coûtent cher?
Un peu de théorie des jeux
On le constate, les provinces ont deux sortes de raisons politiques pour s’appuyer davantage sur les politiques non tarifaires que sur la tarification du carbone, même si cela fait grimper les coûts globaux. Premièrement, les coûts de la réglementation sont cachés, ce qui les rend plus acceptables qu’un tarif carbone élevé. Deuxièmement, dans un système interrelié, les politiques non tarifaires réduisent les importations de quotas et les transferts financiers vers l’extérieur de la province.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Si tous les partenaires de la Bourse du carbone sont incités à adopter des politiques non tarifaires, le résultat pourrait être une sorte de course aux armements réglementaire, dans laquelle chaque État ou province essaierait de se maintenir au-dessus des autres au moyen de politiques non tarifaires renforcées. Et comme on l’a vu, davantage de politiques non tarifaires est généralement néfaste. Or les gains politiques de cette approche demeurent réels, malgré tous ses désavantages économiques.
Choisir avec soin
Soyons clair : je ne suis pas en train de dire que toutes les politiques non tarifaires sont mauvaises. Celles qui sont réellement complémentaires et bien conçues sont avantageuses, tant du point de vue économique que du point de vue environnemental, et ce, que l’on soit dans un système interrelié de quotas d’émissions ou pas.
En outre, les contraintes politiques sont des choses bien réelles, et il faut en tenir compte. Les gouvernements élus sont les mieux placés pour procéder aux arbitrages entre efficience et faisabilité politique. La Commission de l’écofiscalité remplit sa propre mission, qui est d’indiquer les options politiques les plus efficaces par rapport aux coûts, d’expliquer les mécanismes en jeu et d’identifier les facteurs susceptibles de faire augmenter les coûts. Même si (particulièrement si?) ces choses peuvent paraître complexes et bizarres.
Comments are closed.