Tarifer le carbone au nord du 60e parallèle
Je rentre d’un séjour à Yellowknife. Là-bas, j’ai pu discuter de tarification du carbone avec des responsables du gouvernement territorial et d’autres parties intéressées. En vertu du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, chaque province et territoire du pays doit mettre en place d’ici l’an prochain un système de tarification du carbone. Pour les territoires du Canada, cela pose un défi particulier. Je ne prétends pas parler au nom des gens du Nord (j’en connais assez long pour savoir qu’ils détestent ça), mais je voulais quand même vous faire part de ce que j’ai appris au cours de ce voyage. En une phrase? Oui, il y a des défis particuliers, mais peut-être aussi des solutions. Je pense notamment au recyclage des recettes de la tarification, dont on pourrait se servir pour adapter cette politique aux réalités du Nord.
Remplacer le carbone, mais par quoi ?
L’idée derrière la tarification du carbone, c’est de créer une incitation à agir d’une manière qui réduise les émissions de GES. Mais qu’arrive-t-il lorsque les carburants fossiles n’ont que des substituts rares ou très chers? On entend souvent répéter cet argument – parfois sans beaucoup de légitimité. Or les défis des communautés nordiques sont particuliers.
Pour commencer, le Nord accuse une forte dépendance envers le diesel. On l’utilise pour le transport, pour le chauffage des maisons et pour produire de l’électricité. C’est la première source d’émissions de GES dans les territoires. D’un côté, cette prédominance du diesel facilite l’administration d’un tarif carbone : il suffit d’ajouter le tarif aux taxes sur le carburant déjà en place. Mais d’un autre, cela complique beaucoup les choses lorsqu’il s’agit de réagir à une hausse du prix du carbone.
Les solutions de rechange faciles ne sont pas légion. Dans le cas de la génération d’électricité, il est possible d’ajouter des carburants renouvelables au mélange (il y a d’ailleurs d’excellentes raisons de le faire), mais se défaire entièrement du diesel relève de la quadrature du cercle.
Le solaire, l’éolien et les autres énergies renouvelables ont un rôle à jouer dans le Nord
Par conséquent, la tarification du carbone pourrait n’avoir que des effets très modestes dans le Nord, du moins au début. Elle va assurément encourager les efforts de conservation et d’efficacité, qui sont urgents, mais la transition vers une économie moins carbonée risque d’y être plus lente que dans le Sud.
C’est ici qu’intervient le recyclage des recettes. Les gouvernements des territoires peuvent utiliser les revenus générés par la tarification pour subventionner des infrastructures pauvres en carbone. Ils peuvent développer leur capacité de production d’énergie renouvelable, appuyer l’investissement dans des techniques de chauffage alternatives et créer un réseau de bornes de recharge électriques dans les communautés réseautées. Ces gestes peuvent améliorer le rendement de la tarification du carbone en offrant aux habitants du Nord des solutions alternatives.
Le problème du coût de la vie
Quiconque a mis les pieds dans une épicerie nordique vous le dira : la vie ici est chère. Les craintes au sujet de l’impact de la tarification du carbone sur le coût de la vie sont tout à fait légitimes.
Des produits de consommation courante, à des prix qui décoiffent
Mais comme nous le montrons ici, les craintes de ce type peuvent être apaisées grâce au recyclage des recettes. Les gouvernements peuvent redistribuer des sommes aux ménages qui sont impactés de façon disproportionnée; l’Alberta et la Colombie-Britannique le font déjà.
Ces ristournes n’affectent pas le signal de prix et . Dans certains cas, si vous recevez une ristourne et que vous émissions sont assez basses, vous pourriez même réaliser un bénéfice grâce à la tarification du carbone.
Un secteur des ressources à la fois gros et petit
Le secteur des ressources représente une part importante de l’économie du Nord et de ses émissions de GES. Comme nous le montrons , il est parfois nécessaire de procéder au recyclage des recettes en faveur des entreprises à forte intensité d’émissions et exposées à la concurrence étrangère, afin d’empêcher qu’elles ferment boutique ou qu’elles déménagent ailleurs. S’il est bien conçu, le recyclage des recettes protégera la compétitivité de l’entreprise tout en l’amenant quand même à réduire ses émissions.
Le petit nombre d’entreprises présentes dans le Nord complique néanmoins la tâche des formes classiques de recyclage des recettes. On sait que l’Alberta envisage de recycler les revenus de la tarification du carbone en faveur des installations pétrolières qui se classent dans le quartile supérieur de la performance énergétique. Mais comment les Territoires du Nord-Ouest peuvent-ils établir un « quartile supérieur » de leurs entreprises extractives avec seulement trois mines de diamant? Le nombre limité de joueurs dans le secteur des ressources vient compliquer les choses.
La mine de diamant Gahcho Kué de De Beers, à 280 km au nord-est de Yellowknife
Ces difficultés ne signifient pas que le recyclage des recettes ne peut pas fonctionner en pareil cas. Pour protéger la compétitivité de l’entreprise, on peut établir des cibles basées sur son historique de performance, en resserrant les exigences de façon progressive. On peut aussi lui attribuer des sommes pour qu’elle investisse dans des technologies pauvres en carbone. Le truc est de concevoir la chose correctement, et de s’assurer que le soutien accordé est ciblé, temporaire et transparent.
Des priorités additionnelles pour le recyclage des recettes
Comme nous l’avons vu dans notre rapport intitulé Des choix judicieux, chaque pays, province et territoire a ses défis propres; chacun a donc ses propres priorités quand vient le temps de recycler les recettes de la tarification du carbone. Les diverses priorités que nous venons d’évoquer – développer les infrastructures, aider les ménages, protéger la compétitivité – seront aussi importantes dans le Nord qu’ailleurs.
Mais le Nord a aussi des priorités bien à lui dont il devra tenir compte dans le recyclage des recettes. On s’attend à ce que les changements climatiques y aient des effets très prononcés. Les gouvernements des territoires devront donc gérer l’adaptation. Il peut aussi y avoir des priorités sociales, comme la prévention du suicide. Faire entrer ces autres priorités en ligne de compte complique la conception du recyclage des recettes dans le Nord.
Retrait de la banquise, fin du permafrost et autres impacts :
l’adaptation aux changements climatiques est une priorité dans le Nord
Le temps de débattre
Il ne fait aucun doute que la tarification du carbone représente un défi important dans le Nord. Mais en recyclant les recettes de façon judicieuse, le Nord peut retourner la situation à son avantage. La tarification du carbone est source à la fois de contraintes et de nouvelles possibilités. Au cours des prochains mois, les gouvernements territoriaux vont concevoir leurs mécanismes de tarification et de recyclage, et il est crucial qu’ils fassent les bons choix.
Arbitrer entre les différentes priorités de recyclage des recettes ne sera pas chose facile. Mais les habitants du Nord sont déjà engagés dans ce débat. Mon voyage à Yellowknife avait d’ailleurs pour but de discuter de la façon dont les Territoires du Nord-Ouest pourraient utiliser les recettes de la tarification du carbone pour réduire leur dépendance envers le diesel. En juin prochain, Inuvik accueillera l’Arctic Energy and Emerging Technologies Conference, et ce sera l’occasion de poursuivre la conversation et d’échanger des idées.
Comme partout ailleurs, un système de tarification du carbone conçu pour être sensible aux réalités et aux priorités locales sera la clé du succès. Les gouvernements des trois territoires canadiens vont bientôt fixer leurs priorités en matière de recyclage des recettes. Espérons qu’ils feront « des choix judicieux ».
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