Tenir ferme : le leadership climatique en période trouble
Le leadership des États-Unis sur la question du climat étant plus que jamais chancelant, certains pensent que le Canada devrait remballer sa stratégie climatique. Si le Canada agit seul, disent-ils, nous nous trouverons à taxer lourdement notre économie sans pour autant réduire les émissions globales de GES de façon significative. Ont-ils raison? Faut-il vraiment attendre après les États-Unis pour que nos politiques soient économiquement viables?
En réalité, les arguments favorables à l’exercice d’un leadership climatique l’emportent sur les raison d’attendre. La transition vers une économie faible en carbone va effectivement nous imposer des coûts à brève échéance, mais ne rien faire maintenant coûterait beaucoup plus cher (et serait beaucoup plus risqué) au bout du compte. Le monde recherche un leadership climatique audacieux. Et du point de vue économique, le Canada a tout intérêt à se positionner au cœur de l’action.
Le leadership climatique ne court pas les rues
Les temps sont troubles pour les politiques climatiques. Le nouveau gouvernement américain a annoncé (tout en demeurant assez vague, il est vrai) son intention de ne plus prioriser l’atténuation des changements climatiques. Cela pourrait se traduire par le détricotage (formel ou informel) des politiques et des engagements formulés au cours des dernières décennies.
L’influence de la politique climatique américaine s’étend bien au-delà des frontières du pays. Les États-Unis sont la première économie du monde et le deuxième émetteur de GES. Leur action (ou inaction) a plus d’importance que celle de tout autre pays. En abandonnant son leadership climatique, Washington pourrait inciter le monde entier à faire marche arrière. Plusieurs pays, dont le Canada, voient en effet les États-Unis comme la ligne de base pour leurs propres politiques. Si cette ligne flanche, certains pourraient se mettre à croire que la lutte contre les changements climatiques est un jeu de dupes; il y a risque d’effet domino.
Les voix de l’opposition sont puissantes au Canada, voire même stridentes depuis quelques mois (par exemple celle-ci ou ). L’économie canadienne contribue pour moins de 2 pour cent aux émissions planétaires. Par conséquent, beaucoup croient que les provinces et le fédéral devraient abandonner leurs politiques et leurs ententes sur le climat.
Mais les arguments en faveur de la tarification du carbone demeurent, insensibles au fait que Washington a appuyé sur pause. En outre, ces arguments ne sont pas de nature morale. Ce sont des arguments économiques.
Petit traité du leadership climatique intelligent
Tout d’abord, la transition vers une économie faible en carbone, c’est maintenant. Le coût des énergies renouvelables a baissé significativement durant la dernière décennie, au point que le charbon – naguère le carburant du pauvre – n’est plus une valeur sûre pour les investisseurs. Les entreprises ; faute de s’adapter aux changements du marché, elles risquent d’être distancées.
Attendre coûtera cher. Si les marchés mondiaux se réorientent déjà vers un avenir faible en carbone, commencer sa transition de bonne heure signifie que le Canada souffrira (et paiera) moins à long terme. Certains des plus gros émetteurs de GES – par exemple les infrastructures, les transports – mettront des décennies à se convertir à des procédés plus verts. Agir vite aiderait aussi l’économie canadienne à se diversifier, hors de l’économie fossile, et à se tailler des avantages concurrentiels par rapport à d’autres pays.
Faire preuve de leadership est encore plus avantageux lorsque les politiques climatiques sont efficientes. Parmi toutes les mesures de réduction des émissions de GES, la tarification du carbone est la façon la moins coûteuse d’accélérer la transition et d’atteindre nos cibles. Fixer un prix pour le carbone envoie un message direct aux ménages et aux entreprises : trouvez le moyen de réduire votre empreinte carbone. Ceux qui attachent peu de valeur à leurs activités polluantes en trouveront d’autres moins polluantes. Ceux qui attachent beaucoup de valeur à leurs activités riches en carbone continueront à s’y adonner, mais en payant plus.
Il est important de reconnaître que les politiques climatiques ont bel et bien un coût économique. Le défi consiste à minimiser ce coût tout en atteignant nos cibles climatiques. Si on agit maintenant, les coûts économiques sont immédiats, tangibles, mais ils seront d’autant moins lourds dans le futur. Si on a le choix, opérer une transition graduelle, prudente et prévisible maintenant grâce à la tarification du carbone est beaucoup plus avantageux que de soumettre l’économie à un électrochoc plus tard en appliquant brusquement des mesures draconiennes.
Du laboratoire canadien à la scène mondiale
En plus de contribuer à réduire les émissions de GES au pays, le leadership climatique peut aussi avoir des effets d’entraînement sur les émissions globales. La taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique est souvent citée parmi les pratiques d’excellence par les Nations unies, la Banque mondiale et l’OCDE. De cette manière, les autres pays peuvent voir que la tarification non seulement est possible, mais quelle peut être efficace dans la lutte contre les GES sans nuire à l’économie. (On peut discuter de la meilleure recette de tarification du carbone; ce n’est pas une raison pour s’opposer à la tarification comme instrument.) Être un leader autorise également le Canada à demeurer au nombre de ceux qui encouragent les autres pays à garder le cap.
Avant tout, respirer par le nez
En dix ans, le Canada a accompli d’énormes progrès en matière de politiques climatiques. Il ne serait pas avantageux, du point de vue économique, de laisser ce qui se passe de l’autre côté de la frontière miner le travail déjà accompli. Gérer les changements climatiques est affaire de long terme; on ne peut pas faire dérailler le train à chaque soubresaut dans le cycle politique.
La transition vers une économie pauvre en carbone aura un coût, aucun moyen d’y échapper. Mais les coûts seront beaucoup plus élevés, et les risques beaucoup plus grands, si le Canada recule après avoir accompli tout ce progrès. En outre, le chemin que nous avons ouvert envoie un message positif au reste du monde : le leadership climatique n’appartient pas obligatoirement aux plus gros émetteurs de GES.
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