Charest et Ragan : Le Québec peut-il montrer la voie?
Il y a presque un an jour pour jour, les gouvernements du Québec et de la Californie annonçaient un partenariat sans précédent en Amérique du Nord pour lier leurs marchés du carbone dans le cadre de la « Western Climate Initiative ». Depuis, nous voyons monter en puissance un véritable dialogue global sur la tarification du carbone, insufflé par des acteurs inhabituels : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, les conservateurs américains, notamment Hank Paulson et George Shultz.
Mardi dernier, un groupe de douze économistes éminents de partout au Canada — soutenu par des dirigeants du monde des affaires canadien et des milieux politiques de tous les horizons — a lancé la Commission de l’écofiscalité du Canada, un nouvel effort visant à examiner le rôle que peut jouer la tarification de la pollution (y compris et au-delà du carbone) dans la prospérité future du Canada.
Ces voix non familières dans « l’espace environnemental » signalent la reconnaissance d’une réalité incontournable : notre environnement et nos économies sont inextricablement liés. Au Québec, où nous avons adopté ce principe depuis de nombreuses années, la question demeure : peut-on continuer à montrer la voie en adoptant des politiques qui nous donnent un avantage qui est à la fois environnemental et économique ? Nous croyons que la réponse à cette question est oui.
Mesures incitatives
Les Québécois ont depuis longtemps compris que nos écosystèmes ont des limites. Si nous n’en tenons pas compte, en utilisant nos ressources de façon non durable ou en polluant nos ressources naturelles, nous devrons en payer le prix. Non seulement sur le plan des coûts environnementaux, mais nos économies et notre qualité de vie en souffriront. Par exemple, les estimations de l’Association médicale canadienne suggèrent que les polluants atmosphériques dans les villes canadiennes imposeront des coûts de santé d’environ 230 milliards de dollars entre 2008 et 2031.
Les êtres humains ne peuvent pas redéfinir les lois physiques et naturelles qui régissent nos écosystèmes. Mais nous pouvons employer notre créativité et notre intelligence pour définir notre économie — un système créé par l’homme et forgé par des décisions humaines.
Les marchés ont entraîné des progrès remarquables en créant des mesures incitatives pour l’innovation pour les produits et les procédés qui améliorent nos vies. Cependant, les défaillances du marché existent et le problème de la dégradation de l’environnement est peut-être le plus important de tous. Il incombe aux gouvernements d’ajuster les prix du marché en cas de besoin afin d’harmoniser les décisions privées à des objectifs sociaux.
Politiques écofiscales
L’harmonisation de nos aspirations économiques et environnementales est l’un des plus grands défis et des plus grandes occasions que présente ce siècle. Des politiques fiscales intelligentes — ce que nous pourrions qualifier des politiques « écofiscales » — peuvent contribuer à atteindre cet objectif.
Le Québec est déjà l’un des principaux laboratoires de politiques écofiscales en ce qui a trait au carbone, ce qui a fait de nous un acteur international reconnu dans la lutte contre les changements climatiques. En même temps, cela nous a permis d’investir et d’offrir des mesures d’incitation dans le développement de technologies propres, le transport à faible émission de carbone et l’efficacité énergétique. Les politiques écofiscales ont un rapport étroit avec l’innovation — un indicateur important d’une économie saine. Au moment où un « momentum » existe en faveur de la tarification du carbone, nous sommes en bonne position pour profiter de notre investissement dans la recherche et la conception de technologies à faible contenu carbone.
Bien que la réduction des émissions de gaz à effet de serre soit l’un des défis majeurs que des politiques écofiscales peuvent contribuer à régler, il est loin d’être le seul. À l’échelle internationale, ces politiques fondées sur le marché traitent efficacement de questions aussi importantes que la qualité de l’eau, la pollution atmosphérique, la congestion routière et l’enfouissement des déchets. Au Royaume-Uni, par exemple, la tarification des déchets solides a contribué à réduire la mise en décharge commerciale et industrielle de plus de 40 % en cinq ans. Au Canada, des questions comme la propreté de l’eau et la réduction des déchets sont critiques, non seulement au niveau provincial, mais de plus en plus dans nos villes, où vivent la grande majorité de nos concitoyens.
Prospérité environnementale
Ici aussi nous commençons à voir émerger des innovations toutes québécoises. Par exemple, le canton de Potton a réduit ses déchets résidentiels de 42 % en un an, grâce à une stratégie de tarification. L’automne dernier, la Ville de Beaconsfield — l’une des plus grandes productrices de déchets dans la grande région de Montréal — a piloté un projet de réduction des déchets résidentiels visant à tarifer les déchets et à économiser sur les coûts de la collecte des ordures. Les premiers résultats montrent une diminution de 33 % des déchets solides produits par les ménages participants.
On le voit, le Québec est déjà en marche pour refondre son système fiscal d’une manière qui permettra d’atteindre le double objectif de prospérité économique et environnementale. Avec la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise qui est à préparer ses recommandations, une nouvelle occasion se présente pour le Québec de poursuivre son leadership.
Le projet fondamental de l’examen et de la modernisation de nos systèmes fiscaux est essentiel pour l’avenir du bien-être économique et environnemental de tous les Canadiens. Au cours des cinq prochaines années, la Commission de l’écofiscalité du Canada s’appuiera sur des exemples de précurseurs, comme le Québec, pour montrer combien nous avons tous à gagner de politiques écofiscales intelligentes.
À propos de l’auteur
Jean Charest est associé chez McCarthy Tétrault et ancien premier ministre du Québec, et Chris Ragan est professeur agrégé d’économie à l’Université McGill et le président de la Commission de l’écofiscalité du Canada.
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