** Lauréat du Prix commémoratif Doug Purvis 2016 **
Résumé
Dès le début, ce rapport démontre qu’il en coûtera très cher aux Canadiens de retarder l’adoption d’une véritable politique climatique. La question n’est donc plus de savoir « si » le Canada doit accélérer la réduction de ses gaz à effet de serre, mais « comment » il y parviendra. Pour les auteurs, la tarification provinciale du carbone offre un moyen concret et efficient de réduire les émissions de tout le pays. Pour en arriver à cette conclusion, ils ont examiné deux aspects clés : (1) en quoi la tarification provinciale du carbone constitue le moyen le plus concret d’aller de l’avant ; (2) quels éléments et principes de conception faut-il appliquer à l’élaboration des politiques de tarification. S’appuyant sur des données et analyses issues de la théorie économique, plusieurs expériences d’application (canadiennes et internationales) et une modélisation économique inédite, ils formulent à l’intention des provinces des recommandations sur l’approche globale à privilégier et sur les éléments clés de conception des politiques de tarification du carbone.
Résumé des recommendations
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L’inaction est tout simplement inconcevable face aux changements climatiques, croient la majorité des Canadiens. Déjà, notre pays subit les coûts économiques substantiels des répercussions sur le climat de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES), auxquelles sont vulnérables la quasi-totalité des régions et secteurs économiques. Pourtant, la plupart des provinces et le pays lui-même n’atteindront sans doute pas leurs cibles de 2020, sans même parler des réductions majeures nécessaires à long terme. Pour une action vraiment significative, il nous faut donc concevoir et mettre en œuvre des politiques plus rigoureuses.
Tout retard se traduira à terme par une flambée des coûts pour l’ensemble des Canadiens. Mais en adoptant dès maintenant des politiques efficaces, nous pourrons amorcer des réductions d’émissions puis accroître graduellement leur ampleur. Cette démarche progressive permettra aux ménages d’adapter leurs comportements et donnera aux entreprises la flexibilité nécessaire pour acquérir et développer les technologies qui serviront à transformer notre système énergétique. En prenant du retard face au reste de la planète, nous risquons de freiner notre compétitivité au sein d’une économie mondiale qui valorise de plus en plus les activités à faible intensité de carbone.
Le Canada est aujourd’hui confronté à une question centrale : quelle est l’approche la plus concrète et la plus efficiente pour aller de l’avant ? Une question à laquelle le présent rapport apporte une réponse claire : la tarification provinciale du carbone.
Pour ce faire, il examine deux aspects clés. Premièrement, en quoi la tarification provinciale du carbone constitue le moyen le plus concret de réduire au moindre coût une quantité significative d’émissions de GES. Deuxièmement, quels éléments et principes de conception les provinces doivent-elles prendre en compte dans l’élaboration de leurs politiques de tarification.
Ces aspects sont étudiés à partir d’analyses et de données issues de la théorie économique, d’expériences d’application canadiennes et internationales, et d’une modélisation économique inédite. Tout au long du rapport, l’accent est mis sur trois critères stratégiques : (1) une politique est efficace si elle permet de réduire la quantité requise d’émissions; (2) elle est concrète si ses dispositions sont cohérentes avec la situation et les priorités provinciales; (3) elle est efficiente si les réductions d’émissions sont réalisées au moindre coût.
En conclusion, quatre recommandations sont formulées à l’intention des décideurs du pays.
Recommandation 1:
Tous les gouvernements provinciaux doivent aller de l’avant et mettre en œuvre des politiques de tarification du carbone.
La réduction des émissions de GES doit progresser à l’échelle du pays. Plus nous tardons à le faire, plus il en coûtera cher aux Canadiens. Les provinces jouissent de la compétence constitutionnelle et d’une dynamique stratégique leur permettant d’accomplir d’importants progrès en adoptant des politiques de tarification garantes de réductions au moindre coût.
S’imposant de plus en plus comme un outil décisif en matière de réduction d’émissions, la tarification du carbone est soutenue par un éventail d’organismes influents, de la Banque mondiale à l’Organisation de coopération et de développement économiques, du Fonds monétaire international au Conseil canadien des chefs d’entreprise. L’analyse développée dans ce rapport fait la démonstration par province de l’ampleur de ses avantages économiques par rapport à toute autre politique. La tarification du carbone offre aux émetteurs la souplesse nécessaire pour déterminer les méthodes de réduction à moindre coût. Elle produit des recettes qui peuvent servir aux gouvernements à générer d’autres avantages économiques et environnementaux. Et elle suscite à long terme des innovations qui font encore diminuer le coût des réductions.
Les politiques provinciales et autonomes de tarification du carbone offrent une voie d’action concrète. Il sera certes souhaitable de les coordonner progressivement, suivant différents modes de coordination qui pourraient prévoir un rôle pour Ottawa. Mais la logique veut aujourd’hui que les provinces jouent un rôle de leader. D’autant plus que certaines appliquent déjà leur propre politique, et que cet élan pourrait en inciter d’autres à leur emboîter le pas. Le Conseil de la fédération a d’ailleurs indiqué que la tarification provinciale du carbone doit s’intégrer à une stratégie énergétique nationale dirigée par les provinces. Chacune possède en effet une structure économique, un profil d’émissions et un contexte politique qui lui sont propres, auxquels peut s’adapter chaque politique autonome. Cette approche permet aussi aux recettes de la tarification de rester dans la province qui les a générées, ce qui évitera les problèmes réels ou appréhendés d’un système centralisé. En privilégiant aujourd’hui l’action des provinces, le Canada pourra accomplir des progrès qui favoriseront l’inévitable transition vers une économie plus propre.
Recommandation 2:
Les politiques de tarification du carbone — actuelles et futures — doivent devenir de plus en plus contraignantes.
L’efficacité environnementale des politiques de tarification du carbone n’est pas systématique et dépend essentiellement de leur niveau de rigueur. Et une politique contraignante repose sur un prix carbone élevé. Une taxe carbone faible sera peu efficace, tout comme un système de plafonnement et d’échange au plafond élevé. Une politique sera tout aussi inefficace si son prix carbone élevé s’applique uniquement à une faible proportion d’émissions. Pour produire à moindre coût les réductions nécessaires dans toute l’économie et créer les incitations indispensables à l’innovation, une politique de tarification du carbone doit donc être contraignante.
Quel est alors le « juste » niveau de rigueur ? Notre analyse par modélisation utilise les cibles provinciales de 2020 comme référence concrète, quoique arbitraire. On estime aujourd’hui qu’aucune province n’atteindra sa cible, à l’exception de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador, ce qui dénote l’insuffisante rigueur des politiques actuelles. Quoi qu’il en soit, ces cibles n’ont d’intérêt qu’à court terme puisque des réductions beaucoup plus importantes doivent être faites au cours des vingt prochaines années. À cet égard, même les politiques des provinces appliquant déjà un prix carbone sont trop permissives pour atteindre leurs cibles.
Mais il faut aussi prendre en compte la dynamique des niveaux de rigueur. En les haussant graduellement, on évitera à l’économie des chocs inutiles tout en incitant ménages et entreprises à modifier progressivement leurs comportements. Plus vite nous agirons, mieux nous pourrons augmenter les prix carbone graduellement plutôt que brusquement. Cette hausse prévisible et graduelle créera un environnement économique propice à une véritable planification à long terme.
Les politiques provinciales actuelles sont d’une rigueur variable. La taxe carbone de la Colombie-Britannique est la plus contraignante et semble avoir produit des réductions appréciables. Aujourd’hui stabilisé à 30 $ la tonne, le prix carbone n’y a pas augmenté depuis 2012. Relativement nouveau, le système québécois de plafonnement et d’échange applique un prix carbone moins élevé, mais son plafond d’émissions devrait baisser d’année en année. Quant au système albertain misant sur une réglementation flexible assortie d’une tarification, il a produit des réductions minimes, notamment faute d’un niveau de rigueur suffisant.
Recommandation 3:
Les politiques provinciales de tarification du carbone doivent être conçues en vue d’étendre aussi largement que possible leur champ d’application.
Un vaste champ d’application incite à réduire les émissions dans l’ensemble de l’économie. Il permet aussi de minimiser les coûts de tout volume de réduction. Car plus nombreux sont les émetteurs (et les émissions) visés, plus ils sont incités à effectuer le maximum de réductions à moindre coût. Le champ d’application d’une politique doit donc être aussi étendu que possible. Pour une efficience optimale, elle devrait aussi imposer un prix uniforme sur toutes les émissions, quelles que soient leurs sources. Car les exemptions sectorielles créent non seulement des inégalités, mais font aussi augmenter les coûts d’ensemble d’une politique.
Les champs d’application de la taxe carbone de la Colombie-Britannique et du système de plafonnement et d’échange du Québec sont raisonnablement étendus. Le système en place en Alberta ne crée par contre aucune incitation pour les petits émetteurs (p. ex. : immeubles, véhicules, petites entreprises industrielles). Et une très faible proportion d’émetteurs paie un prix sur le carbone. Ce champ d’application restreint explique notamment l’efficacité limitée de la politique albertaine.
Recommandation 4:
Les provinces doivent adapter les éléments de leurs politiques à leur situation et à leurs priorités économiques, tout en prévoyant d’en coordonner l’application à long terme.
Bien qu’une éventuelle uniformisation des prix carbone provinciaux soit souhaitable, d’autres éléments de politique peuvent rester uniques à chaque province.
C’est notamment le cas du recyclage des recettes, qui se prête à maintes possibilités. Certaines provinces peuvent s’en servir pour réduire les impôts des particuliers et des sociétés, comme l’a fait la Colombie-Britannique, d’autres pour investir dans les nouvelles technologies, comme le fait le Québec et, dans une certaine mesure, l’Alberta. Les recettes de la tarification peuvent aussi servir à financer d’importantes infrastructures, à atténuer les risques à la compétitivité des secteurs exposés, ou à soutenir les ménages à faible revenu. Chaque province peut adapter ses choix à sa situation et à ses priorités, grâce à une flexibilité qui constitue l’une des forces clés de l’approche provinciale.
À long terme, l’uniformité des prix carbone provinciaux sera souhaitable pour deux raisons. D’abord, parce qu’elle renforce l’efficience générale des politiques en créant des incitations à réaliser le maximum de réductions à moindre coût, où qu’elles se trouvent. Ensuite, parce qu’elle évite les problèmes de compétitivité interprovinciale. Quand toutes les politiques sont également contraignantes, les règles du jeu sont les mêmes pour tous.
Mais aussi souhaitable qu’il soit, un prix carbone identique dans tout le pays n’est pas indispensable à court terme. Pas plus qu’on ne doit invoquer cette quête d’un prix uniforme pour faire obstacle à une action provinciale rapide et concluante. L’histoire est remplie d’exemples où les provinces canadiennes ont adopté des politiques divergentes. En élaborant dès maintenant des politiques efficaces, les provinces pourront accomplir des progrès décisifs pour atteindre des objectifs ambitieux.